Lundi
30 juillet
Je me sens déprimé et trop seul ces jours-ci. J‘aimerais
avoir avec moi Gauguin ou un autre avec qui me concerter
sur mon travail. De fois, je ne sais plus où j'en suis
ou si, comme me l'a déjà dit Theo, je me suis engagé
sur une mauvaise voie.
Mardi 31 juillet
Je me suis fait copain avec un facteur. Bon buveur et discoureur,
un personnage très socratique. Républicain engagé,
il est très intéressant. Il va poser pour moi.
J'ai étalé
mes toiles sur les mur, ça fait comme une exposition chez
moi. Si au moins des amateurs pouvaient venir voir mon travail...
Mercredi
1er août
J’ai attaqué la toile du facteur. Il pose bien avec
son bel uniforme.
J’ai grand besoin d’études de figures.
Jeudi 2 août
L'oncle Cent est mort. On va dire maintenant que c'était
un homme exceptionnel, or, pour moi, il ne l'a pas été.
Il n’a jamais cru en moi. Avec tout l’argent que lui
a rapporté l’art, il aurait pu m’aider.
Comme la vie est courte et comme elle n'est que fumée.
Vendredi 3 août
Russell m’a écrit de Bel Isle. Il voudrait que je
vienne le voir. Mais pas question de bouger d‘ici pour le
moment. Je vais garder ma maison jaune encore au moins six mois.
D'après ce qu'il dit, Gauguin me rejoindra sous peu.
L’été
est maintenant magnifique, la verdure est très dense, très
riche, le ciel clair, étonnement transparent.
Ce qui me plaît beaucoup ici, ce sont les vêtements
bigarrés des femmes.
Tout me paraît parfois aussi formidablement joyeux que la
Hollande est triste.
Samedi 4 août
J'ai vu ce soir un bateau chargé de charbon à quai
sur le Rhône. Il luisait sous la pluie. On aurait dit un
Hokusai. Je vais en faire une peinture.
Dimanche
5 août
La femme du facteur vient d'accoucher. L'homme était heureux.
Je l'ai peint avec son visage qui luisait de satisfaction. Faire
du portrait m'apprend beaucoup plus que le paysages. Il a promis
de poser encore pour moi et peut-être sa femme et le bébé.
Je peins tout cela plus volontiers que des fleurs.
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