VINCENT VAN GOGH

LE JOURNAL DE LA MAISON JAUNE

site : vangoghaventure.com

 

1ere semaine

mardi 1 mai
J’ai loué une maison adorable. En plein milieu d’une place entourée de jolis jardins. Depuis que je suis à Arles, je rêvais d'avoir un atelier. Quand j'ai vu que cette maison était à louer, je n’ai pas hésité.
Ce n’était pas vraiment le moment vu les problèmes de Theo avec ses patrons, mais cela me devenait insupportable de vivre dans les chambres d’hôtels. Au bout du compte, je ferai des économies en habitant chez moi, surtout si des copains viennent me rejoindre, ça fera une base dans le Sud pour les artistes.
Enfin, j’ai un atelier, une maison pour travailler, respirer et vivre. J’ai besoin d’un peu de stabilité pour peindre tranquillement.
Le propriétaire a un peu hésité à me la louer. Il a voulu savoir d’où venait mon argent. J’ai dû lui expliquer que j’avais un arrangement avec mon frère : je lui envoyais mes peintures et il m’envoyait de quoi vivre et peindre. On s’est finalement arrangé, j’ai payé le premier trimestre d’avance, ça l’a rassuré. Les gens se demandent comment je vis. Ils se doutent forcément que mes toiles ne me nourrissent pas. Ça fait maintenant trois mois qu’ils me voient me promener le nez au vent, couvert de taches de peintures et une toile dans la main. Ils ne comprennent rien à la peinture et manquent un peu de curiosité. Ils sont plutôt méfiants. Les étrangers sans le sou les inquiètent.
Je n’en pouvais plus de l’hôtel, qui coûte cher. Je m’attendais à dépenser moins ici qu’à Paris. C’est finalement plus cher qu’à Pont Aven, d’après ce que m’a dit Gauguin.
J’en profite pour démarrer un journal. Ecrire me repose et me permet de réfléchir sur mon travail. Comme Delacroix, je vais essayer de tenir un journal... Je vais l’appeler : Journal de ma Maison Jaune. Je vais essayer d’écrire quelque chose tous les soirs.

 

mercredi 2 mai
Je suis très content d’avoir quitté Paris où j’en pouvais plus à force de boire et d’énervement. J’ai besoin de soleil pour éclairer mon travail. Je veux aller plus vers ce qui m'attire.
J’ai quitté les tons gris assourdis hollandais pour une opposition des couleurs, des couleurs plus poussées et tranchées. À mes peintres préféres : Millet, Delacroix, Rembrandt, se sont ajoutés les japonais et les Impressionnistes. Les lignes simplifiées et les grands aplats de couleur des crépons japonais m'avaient préparé à la rencontre des peintres impressionnistes. Pourtant, à première vue j’ai trouvé leur peinture trop criarde, mais ils ont raison, une œuvre pour être vivante, doit être haute en couleurs et d'une exécution éclatante. J’ai aussi découvert à Paris le marseillais Monticelli qui m'a époustouflé avec son sens de la couleur. J’ai l’impression d’être son frère tellement ce qu’il fait est proche de ce que je sens ; c’est un vrai coloriste qui a rendu quelque chose de passionné et d’éternel : une couleur riche, la richesse du soleil du glorieux Midi. Il s'est libéré des formes et des lignes. Ses contrastes simultanés de couleurs, de leurs dérivées et de leurs harmonies suffisent.

J'ai dessiné la cloture et les arbres du jardin juste devant ma porte (F1477).

jeudi 3 mai
Je voudrais arranger l’atelier pour recevoir des modèles. S’ils sont ignorants en peintures, les gens d’ici, surtout les femmes, sont très artistes pour leur propre figure. Les femmes sont aussi belles que des Goya ou des Vélasquez. Elle savent confectionner des habillements blanc, jaune, rose où il n’y a rien à changer au point de vue artistique. J’aimerais beaucoup faire leurs portraits.
Il faut que je meuble un peu la maison. En attendant, je vais pouvoir travailler dans un atelier spacieux et bien clair. Avec mes toiles sur les murs blancs à la chaux, ça fait comme une exposition. Je vais même pouvoir faire venir des collectionneurs si j’en rencontre.
La plus belle des chambres, je l’ai réservée à Theo. Elle a trois fenêtres et donne à la fois sur la place et la rue de Montmajour, au beau milieu des jardins.
J’ai été voir Mc Knight, l’ami de Russell qui demeure dans le petit village de Fontvieille. Il n’osait pas me montrer son travail. J'ai dû insister. Il n’est pas maître de sa palette et n’a pas encore bien intégré les nouvelles théories de la couleur. Seul un pastel, un arbre rose, était bien. Ça l’intéresserait peut-être de venir habiter avec moi quelque temps.
Il ya trop de vent aujourd'hui ; au retour de Fontvieille, j'ai fait un dessin de la cloture du jardin en face de la maison.

J’ai fait fini la répétition du pont de Langlois pour le cadeau d’anniversaire de Theo (F570).

Vendredi 4 mai
Le quartier est tranquille. Je n’aime pas la sensation d’être enfermé dans des vieux murs. Là, au moins, c’est dégagé. Un peu trop central peut-être, un peu trop en vue pour que je puisse croire que cela puisse tenter une femme.
J’ai été chez le marchand de meubles pour acheter un lit, mais c’est beaucoup trop cher et il n’en loue pas. Je pense acheter une natte et un matelas, ça ira pour l’été.
Il y a trop de Mistral ces jours-ci pour travailler dehors. J’ai fait fini la répétition du pont de Langlois pour le cadeau d’anniversaire de Theo (F570). Ce petit pont avec la femme à ombrelle me paraît assez réussi. Le couleurs sont fraîches et pimpantes. Le dessin était déjà bon..

Même si ce que je fais est encore très loin de ce que je souhaite, je sens que le Midi me fait progresser. Je suis enthousiasmé par tout ce que je vois ici. Depuis plusieurs semaines, je suis dans une rage de travail. Les vergers en fleurs m’ont épuisé et ravi. Je voudrais arriver à faire un verger de Provence d'une gaîté monstre.
Le travail me prend tout entier et je crois que c'est pour toujours
L'air d'ici me fait du bien et me réussit. Je n'ai pas besoin de stimulants pour faire circuler mon sang, ici, un seul petit verre de cognac me grise. Les ponts et les vergers sont mieux que mes études d'Asnières. Ce que je fabrique ici est supérieur à ce que je faisais à Paris. Maintenant, sur quatre toiles, au moins une qui fasse tableau.
La dizaine de vergers (voir lien : vergers) tiennent bien ensemble. Je les ai accrochés sur les murs de l’atelier et je les ai travaillé ensemble, j’ai fait quelques retouches pour qu’ils s’harmonisent. Malheureusement la saison des arbres en fleurs est trop courte, j’ai dû arrêter. Les derniers, faits dans l’urgence, ont une furie d’empâtements, il n'y avait plus que des taches de blanc à peine teintés de jaune et de lilas.

Samedi 5 mai
Cette maison est un peu grande pour mes moyens, mais elle n’est vraiment pas chère et je pourrai accueillir des copains. J’espère que Bernard, Anquetin ou d’autres amis peintres me rejoindront. Je vais leur demander de m’envoyer des toiles pour les montrer ici si l’occasion se présente… Il y a au total quatre pièces. Deux sont plutôt des petits cabinets, mais on peut y dormir. Les deux plus belles chambres donnent sur la place. J'ai réservé la plus belle à Theo. Elle a trois fenêtres qui donnent sur les jardin du square. On ne voit que du vert, et bien sûr, le bleu du ciel. Sacré bleu. Je n’en avais jamais vu des comme ça. Lumineux, profond et l’air a une transparence qui fait qu’on voit très bien très loin. Le rez-de-chaussée comprend une grande pièce et une cuisine qui pourra aussi servir d’atelier.

L’autre aile de la maison est loué à un épicier qui vit au-dessus avec sa femme. Il me regarde d’un drôle d’œil. J’ai des carreaux bien rouges qui brillent quand on les lave et les murs blanchis à la chaux. Je vais enfin pouvoir voir enfin mes toiles dans un intérieur bien clair. J’ai envie de mettre deux grandes jarres avec des fleurs devant la porte. Ce sera plus accueillant.
Dimanche 6 mai
J’ai de l’autre côté de la porte un petit jardin adorable que je ne me lasse pas d’admirer et de traverser. Il mériterait une belle peinture dans les jaunes et bleu. Comme il y avait trop de vent aujourd’hui, j’ai dessiné le coin de l’allée qui mène à la maison (F1476). Il faudra que j’y revienne, il y a de beaux motifs à prendre.

Theo est content ces jours-ci, il a vendu un Degas et doit aller voir Monet. C’est sûr qu’à côté de ces excellents peintres, ce que je lui envoie doit lui paraître un peu faible. Le peintre maintenant doit être plus audacieux. Ce que Monet a fait pour le paysage, il faudrait que quelqu’un le fasse pour le portrait. Les Impressionnistes ont fait de la couleur plus forte que Manet. Le peintre de l’avenir devra être un coloriste comme il n’y en a jamais eu. Cela ne pourra être moi, mais je sens bien que je suis dans le juste. La génération future le fera mais il est nécessaire de lui préparer le chemin.
Travail en cours