Je viens de terminer
une toile qui représente un intérieur de café
de nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres
rôdeurs dorment dans un coin. La salle est peinte en rouge
et là-dedans sous le gaz le billard vert qui projette une
immense ombre sur le plancher.
Dans cette toile il y a six ou sept rouges différents depuis
le rouge sang jusqu’au rose tendre faisant opposition à
autant de verts pâles ou foncés. (532, 4 septembre)
J’en fait
un dessin tout à l’aquarelle pour te l’envoyer
demain, te donner une idée.(532, 4 septembre)
Enfin,
à la grande joie du logeur, du facteur de poste que j’ai
déjà peint, des visiteurs-rôdeurs de nuit
et de moi-même, trois nuits durant j’ai veillé
à peindre, en me couchant pendant la journée. Souvent
il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée
que je jour. (533 8 septembre
300 f.)
La salle est rouge
sang et jaune sourd, un billard vert au milieu, quatre lampes
jaune citron à rayonnement orangé et vert. C’est
partout un combat et une antithèse des verts et des rouges
les plus différents, dans des personnages de voyous dormeurs
petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le
rouge sang et le vert jaune du billard exemple contrastent avec
le petit vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un
bouquet rose. Les vêtements blancs du patron, veillant dans
un coin de cette fournaise, deviennent jaune citron, vert pâle
et lumineux. J’en fait un dessin tout à l’aquarelle
pour te l’envoyer demain, te donner une idée. (533
8 septembre)
Nouveau tableau
représentant l’extérieur d’un café
le soir. Sur la terrasse il y a des figurines et des buveurs.
Une intense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture,
le trottoir, et projette même une lumière sur les
pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les
pignons des maisons d’une rue qui file sous un ciel constellé
d’étoiles, sont bleu foncé ou violets avec
un arbre vert. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien
qu’avec du beau bleu et du violet et du vert et dans cet
entourage la place illuminée se colore de soufre pâle,
de citron vert. Cela m’amuse énormément de
peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait
le tableau d’après le jour le dessin. Mais moi je
m’en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est vrai que l’obscurité, je peux prendre un bleu
pour un vert… Mais c’est le seul moyen de sortir de
la nuit conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde
et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà
nous donne les orangés les plus riches.
J’ai fait
un nouveau portrait de moi-même comme étude où
j’ai l’air d’un japonais.(532, 4 septembre)
J’ai un
portrait de moi tout cendré. J’avais cherché
le caractère d’un bonze simple adorateur de bouddha
éternel.
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Lundi
3 septembre
J'ai installé mes tableaux de tournesols dans la chambre
d'ami. Cela fait une belle décoration. Ces peintures, si
Gauguin vient, ils lui permettront de juger et de comprendre vers
où je vais, dans quel sens mon travail évolue.
Ce soir je
vais peindre le café de nuit.
Mardi 4 septembre
Gauguin ne m’a pas répondu à ma lettre. Il
semble se débrouiller et n’a pas envie de venir.
Je m’en fous.
J’ai envie de dormir chez moi et meubler la maison pour
pouvoir accueillir des artistes de passage.
J’ai attaqué la peinture du café où
je loge. Les clients s’amusent de me voir peindre.
Mercredi 5 septembre
Une deuxième nuit sans dormir. J’essaie de rendre
l’atmosphère de ce bar où dominent des couleurs
puissantes comme le vert et le rouge. Le billard vert projette
une ombre immense sur le plancher, les murs rouges, les lumières
jaune citron… ça c’est de la couleur.
Jeudi 6 septembre
Troisième nuit à finir le café. J’y
ai mis plusieurs rouges différents qui s’opposent
aux verts pâles et foncés. Je me suis servi arbitrairement
de la couleur comme jamais. C’est criard à en avoir
mal aux yeux. Une atmosphère de fournaise règne
là-dedans. J’ai peint les silhouettes des rôdeurs
de nuit qui dorment là parce qu’ils n’ont pas
d’argent pour se payer l’hôtel et un souteneur
avec sa donzelle qui se sont engueulés.
Je fais maintenant la peinture colorée et claire que je
cherchais depuis longtemps.
Je me sens maintenant complètement peintre. Il me suffit
de poser mes yeux et de peindre droit devant ce que je vois. Plus
besoin de tracer un dessin. La composition se fait d’elle-même.
Mon regard s’est affuté.
J’ai envie de faire le portrait de ma maison jaune. Jaune
brillant entourée de jardins de verts différents,
de lauriers roses sous un ciel bleu intense.
Vendredi 7 septembre
J’ai peint ce soir le café de la place où
j'allais avec Boch. Quand ils m’ont vu arriver avec mon
chevalet, que j’ai déballé mes affaires et
que je me suis mis à peindre, ils ont dû me prendre
pour un fou. Ils n’avaient jamais vu ça. Peindre
la nuit !
Cela n’a pas été facile. Sous la lueur du
réverbère, je me suis un peu trompé dans
les tons sombres, mais j’ai vite rattrapé. Les figurines
de buveurs sous les lanternes jaunes et le ciel étoilé
sont bien rendues. Ce tableau va plaire à Theo.
J’ai aussi fait du café de la Gare une aquarelle.
J’avais envie que Theo voie ça.
Samedi
8 septembre
Les deux lits que je viens d’acheter vont me permettre enfin
de dormir ici et de loger Gauguin ou un autre s’il venait.
Je voudrais peindre quelque chose sur mon lit en pin blanc. L’autre
lit est en noyer. Mais pour ma chambre, je ne voudrais que des
meubles simples, carrés et larges, qui expriment le vrai
repos. Ma maison sera comme une œuvre d’art remplie
de beaux tableaux et de gravures japonaises. Une vraie maison
d’artiste, mais pas maniérée, avec que des
choses simple et belles.
J’ai acheté douze chaises paysannes et une table
en bois blanc.
Heureusement que Theo a reçu l’héritage de
l’oncle Cent, ça lui permet de souffler et de m’aider
à meubler ma maison comme je veux. Si quelqu’un venait,
il n’y aurait que le lit à faire. Pour le mien, j’ai
choisi une couverture rouge sang et pour l’autre chambre,
une couverture bleue.
Ma chambre est maintenant complète avec la table de toilette
et la commode.
J’ai mis au-dessus de mon lit le portrait de Boch, celui
de Roulin et des estampes japonaises. Au-dessus de ma tête,
le petit motif simple de l’arbre sur un rocher à
Montmajour.
Quand je suis rentré ce soir, la femme de chambre avait
lavé les carreaux du sol. Ils étaient rouges et
luisants. Avec les murs blancs et les volets vert cru, ça
en jetait.
J'ai écrit à Theo qu'il considérer qu'il
a une espèce de maison de campagne, malheureusement un
peu loin de Paris.
Dimanche 9 septembre
Je vais faire à Theo une grosse commande de couleurs. L’automne,
j’espère, va être épatant.
Je me suis rarement senti aussi bien que ces temps-ci. Je travaille
comme un forcené, en pleine chaleur et j’en jouis
comme une cigale. Je reviens avec des toiles riches de tons que
je retouche pour finir à l’atelier.
Le soir, je m’étourdis de tabac et un peu d’alcool
et je me couche tôt.
J'ai fait
la peinture de la place du Forum avec le café de nuit.
Le grand miroir
que j’ai acheté m’a donné envie de faire
un autoportrait.
Avec mes cheveux coupés courts et ma barbe rase, j'ai l'air
d'un bonze japonais. Du coup, j'ai accentué mes yeux pour
avoir encore plus l'air japonais.
Ce portrait
fait pendant au portrait de ma mère que j’ai fait
d’après la photo que Theo m’a envoyé
: vert Véronèse pâle et tons cendrés.
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