VINCENT VAN GOGH

LE JOURNAL DE LA MAISON JAUNE

site : vangoghaventure.com

 

Dix-neuvième semaine

Je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café de nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs dorment dans un coin. La salle est peinte en rouge et là-dedans sous le gaz le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher.
Dans cette toile il y a six ou sept rouges différents depuis le rouge sang jusqu’au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles ou foncés.
(532, 4 septembre)

J’en fait un dessin tout à l’aquarelle pour te l’envoyer demain, te donner une idée.(532, 4 septembre)

Enfin, à la grande joie du logeur, du facteur de poste que j’ai déjà peint, des visiteurs-rôdeurs de nuit et de moi-même, trois nuits durant j’ai veillé à peindre, en me couchant pendant la journée. Souvent il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée que je jour. (533 8 septembre
300 f.)

La salle est rouge sang et jaune sourd, un billard vert au milieu, quatre lampes jaune citron à rayonnement orangé et vert. C’est partout un combat et une antithèse des verts et des rouges les plus différents, dans des personnages de voyous dormeurs petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le rouge sang et le vert jaune du billard exemple contrastent avec le petit vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un bouquet rose. Les vêtements blancs du patron, veillant dans un coin de cette fournaise, deviennent jaune citron, vert pâle et lumineux. J’en fait un dessin tout à l’aquarelle pour te l’envoyer demain, te donner une idée. (533 8 septembre)

Nouveau tableau représentant l’extérieur d’un café le soir. Sur la terrasse il y a des figurines et des buveurs. Une intense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d’une rue qui file sous un ciel constellé d’étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu’avec du beau bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle, de citron vert. Cela m’amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau d’après le jour le dessin. Mais moi je m’en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est vrai que l’obscurité, je peux prendre un bleu pour un vert… Mais c’est le seul moyen de sortir de la nuit conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les orangés les plus riches.

J’ai fait un nouveau portrait de moi-même comme étude où j’ai l’air d’un japonais.(532, 4 septembre)

J’ai un portrait de moi tout cendré. J’avais cherché le caractère d’un bonze simple adorateur de bouddha éternel.

 

Lundi 3 septembre

J'ai installé mes tableaux de tournesols dans la chambre d'ami. Cela fait une belle décoration. Ces peintures, si Gauguin vient, ils lui permettront de juger et de comprendre vers où je vais, dans quel sens mon travail évolue.

Ce soir je vais peindre le café de nuit.

 


Mardi 4 septembre
Gauguin ne m’a pas répondu à ma lettre. Il semble se débrouiller et n’a pas envie de venir. Je m’en fous.
J’ai envie de dormir chez moi et meubler la maison pour pouvoir accueillir des artistes de passage.
J’ai attaqué la peinture du café où je loge. Les clients s’amusent de me voir peindre.

 


Mercredi 5 septembre
Une deuxième nuit sans dormir. J’essaie de rendre l’atmosphère de ce bar où dominent des couleurs puissantes comme le vert et le rouge. Le billard vert projette une ombre immense sur le plancher, les murs rouges, les lumières jaune citron… ça c’est de la couleur.

 


Jeudi 6 septembre
Troisième nuit à finir le café. J’y ai mis plusieurs rouges différents qui s’opposent aux verts pâles et foncés. Je me suis servi arbitrairement de la couleur comme jamais. C’est criard à en avoir mal aux yeux. Une atmosphère de fournaise règne là-dedans. J’ai peint les silhouettes des rôdeurs de nuit qui dorment là parce qu’ils n’ont pas d’argent pour se payer l’hôtel et un souteneur avec sa donzelle qui se sont engueulés.
Je fais maintenant la peinture colorée et claire que je cherchais depuis longtemps.
Je me sens maintenant complètement peintre. Il me suffit de poser mes yeux et de peindre droit devant ce que je vois. Plus besoin de tracer un dessin. La composition se fait d’elle-même. Mon regard s’est affuté.
J’ai envie de faire le portrait de ma maison jaune. Jaune brillant entourée de jardins de verts différents, de lauriers roses sous un ciel bleu intense.

 


Vendredi 7 septembre
J’ai peint ce soir le café de la place où j'allais avec Boch. Quand ils m’ont vu arriver avec mon chevalet, que j’ai déballé mes affaires et que je me suis mis à peindre, ils ont dû me prendre pour un fou. Ils n’avaient jamais vu ça. Peindre la nuit !
Cela n’a pas été facile. Sous la lueur du réverbère, je me suis un peu trompé dans les tons sombres, mais j’ai vite rattrapé. Les figurines de buveurs sous les lanternes jaunes et le ciel étoilé sont bien rendues. Ce tableau va plaire à Theo.
J’ai aussi fait du café de la Gare une aquarelle. J’avais envie que Theo voie ça.

 

Samedi 8 septembre
Les deux lits que je viens d’acheter vont me permettre enfin de dormir ici et de loger Gauguin ou un autre s’il venait.
Je voudrais peindre quelque chose sur mon lit en pin blanc. L’autre lit est en noyer. Mais pour ma chambre, je ne voudrais que des meubles simples, carrés et larges, qui expriment le vrai repos. Ma maison sera comme une œuvre d’art remplie de beaux tableaux et de gravures japonaises. Une vraie maison d’artiste, mais pas maniérée, avec que des choses simple et belles.
J’ai acheté douze chaises paysannes et une table en bois blanc.

Heureusement que Theo a reçu l’héritage de l’oncle Cent, ça lui permet de souffler et de m’aider à meubler ma maison comme je veux. Si quelqu’un venait, il n’y aurait que le lit à faire. Pour le mien, j’ai choisi une couverture rouge sang et pour l’autre chambre, une couverture bleue.
Ma chambre est maintenant complète avec la table de toilette et la commode.
J’ai mis au-dessus de mon lit le portrait de Boch, celui de Roulin et des estampes japonaises. Au-dessus de ma tête, le petit motif simple de l’arbre sur un rocher à Montmajour.
Quand je suis rentré ce soir, la femme de chambre avait lavé les carreaux du sol. Ils étaient rouges et luisants. Avec les murs blancs et les volets vert cru, ça en jetait.
J'ai écrit à Theo qu'il considérer qu'il a une espèce de maison de campagne, malheureusement un peu loin de Paris.


Dimanche 9 septembre
Je vais faire à Theo une grosse commande de couleurs. L’automne, j’espère, va être épatant.
Je me suis rarement senti aussi bien que ces temps-ci. Je travaille comme un forcené, en pleine chaleur et j’en jouis comme une cigale. Je reviens avec des toiles riches de tons que je retouche pour finir à l’atelier.
Le soir, je m’étourdis de tabac et un peu d’alcool et je me couche tôt.

J'ai fait la peinture de la place du Forum avec le café de nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le grand miroir que j’ai acheté m’a donné envie de faire un autoportrait.
Avec mes cheveux coupés courts et ma barbe rase, j'ai l'air d'un bonze japonais. Du coup, j'ai accentué mes yeux pour avoir encore plus l'air japonais.
C
e portrait fait pendant au portrait de ma mère que j’ai fait d’après la photo que Theo m’a envoyé : vert Véronèse pâle et tons cendrés.

 

 

 

 

 


 

Travail en cours