j'ai
fait deux toiles de chutes de feuilles. 560
Semeur immense
disque citron comme soleil. 558 a
De temps en temps, une toile qui fait tableau, telle le Semeur,
je crois mieux que le premier. 560
J ai enfin
une arlésienne, fond citron pâle, visage gris, habillement
noir, fauteuil de bois orangé.
|
Lundi
29 octobre
Le portrait, c est la base de tout. Je me débrouille
bien plus facilement avec les paysages mais je veux faire du portrait.
Rendre l âme humaine avec de la couleur. Les émotions
et les sentiments doivent dire plus sur une toile que la froide
photographie qui écrase et fixe tout.
A défaut de modèles, j ai fait le portrait
d un arbre, ses racines et le tronc, avec des rejetons verts
en premier plan, la ville d Arles au fond. Gauguin a repris
une négresse & puis un mas très structuré
avec des meules et des cyprès, un coin que je lui ai montré.
Lui préfère les surfaces délimités,
fermées par des murs. Très Cézannienne.
A côté de mes touches urgentes et nerveuses, son
paysage paraît nettement plus calme que les miens.
Si moi j ai Monticelli en tête, Gauguin lui, a plutôt
Cézanne.
Mardi
30
On a peint aux Alyscamps. La plaine de la Crau et Montmajour ont
plu à Gauguin, mais il a été plus intéressé
par les Alyscamps que ces paysages qui me donnent le goût
de l infini.
J ai fait un couple d amoureux au pieds des grands
cyprès, tout en hauteur. Les arbres sont comme des feux
qui montent au ciel. J essaie de faire comme Gauguin, de
limiter volontairement ma palette. Juste de l orangé
et du bleu.
Gauguin a lui peint un groupe de trois femmes sur une butte très
dessiné, maîtrise. Cela semble plus net que les miens
où j ai toujours du mal avec les contours . Il est
à la recherche d un style.
Mercredi 31 octobre
J ai essayé la toile que Gauguin a apprêtée.
J avais hâte de voir ce que cette toile de jute rugueuse
allait raconter. J ai refait une vue des Alyscamps, presque
la même vue, mais sans les bâtiments.
Je n ai pas pu la travailler avec les mêmes pinceaux.
La texture retient la peinture et il est difficile de faire des
touches plus courtes. J ai changé pour des pinceaux
plus larges et plu souples, ça va mieux. Je ne mets plus
d ombres.
Jeudi
1er novembre
Comme il ne fait pas beau et que Gauguin finit les trois grâces,
il m a expliqué comment il procède. J essaie
de faire comme lui en architecturant plus mes compositions. Il
me conseille de supprimer la ligne d horizon et de me concentrer
un cadrage plus strict de ce que je veux peindre. Il a marqué
sur ma toiles les grandes lignes.
Les troncs d arbres a disparu quadrillent l espace
à la japonaise. Les ombres sont absentes et j ai
souligné les volumes systématiquement. Ma palette
de couleurs est aussi volontairement moins étendue.
Vendredi 2 novembre
J ai continué à travailler à la japonaise.
Je refais la toile des chutes de feuilles encore plus cadrée
avec les troncs bleus au premier plan. J y ai mis une dame
japonaise toute en rouge pour faire varier un peu la palette.
Gauguin parle toujours de la Bretagne, de sa nature solennelle
qu il apprécie plus que les sols brûlés
d ici et la nature rabougrie de la Provence brûlée.
Il est encore trop impressionné encore par les paysages
bretons, il ne sent pas la poésie d ici de Daumier,
Daudet, Monticelli. Pour ma part, je me sens bien ici et je n en
partirai pas de sitôt.
Samedi
3 novembre
Gauguin m impressionne beaucoup avec ses histoires de marin.
Je le respecte d autant plus et cela me donne encore plus
une absolue confiance en lui.
Quand il parle des Tropiques, son Sil s allume. Il
pense que c est là-bas que la peinture va connaître
une résurrection. L école des Tropiques, il
la verrait à Java.
Moi je suis bien ici, je préfère rester là
encore longtemps. Ça ferait une étape pour les artistes
entre le Nord et les Tropiques.
Gauguin a tenu à mettre dans sa chambre les deux dernières
toiles des Alyscamps dans lesquelles il sent bien l influence
qu il a sur moi et semble content de mes résultats.
Madame Ginoux est venu à la maison. Gauguin l a convaincue
de venir. Elle a posé pour nous dans l atelier. J ai
enfin mon arlésienne. Sabrée en une heure.
Gauguin en a fait un grand dessin.Gauguin râle après
ma gestion de l argent. Il me trouve bordélique et
a décidé de réorganiser la marche du foyer.
Il a mis l argent dans quatre boîtes : une pour les
courses, une pour les frais de peintures, une pour le bordel.
On n ira plus manger tous les jours au restau. Je ferai
les courses et lui la cuisine.
Dimanche 4 novembre
Gauguin travaille aujourd hui à sa peinture du café
où il a reporté le dessin de Madame Ginoux au premier
plan. En arrière-plan, il a mis les amis Milliet et Roulin
entouré de femmes, un dessin pris au bordel.
J ai fini ma peinture de Madame Ginoux, assez vite faite
sur fond jaune.
Je voudrais faire des portraits qui comme celui-là soient
simples et compréhensibles par le grand public.i
|