Déjà
comblée par les arts, les architectures, la peinture, la musique,
etc., la cité des doges n'avait pas de vocation particulière à
représenter l'art de son temps. Et pourtant, la Biennale existe
depuis 1895, et s'il y a encore quelques années, elle se cantonnait
dans les Giardini, puis dans le magnifique Arsenale, elle ne cesse
d'année en année de s'installer dans tous les lieux : Palais,
anciens entrepôts, greniers à sel, places, etc.
Cette
année, les arts contemporains sont quasiment présents dans tous
les sestieres. Tous les pays veulent maintenant en être (cette
année, 70 pavillons, dont Monaco).
Chaque
année dégage une tendance. Progressivement, la peinture, la sculpture,
le dessin ont laissé place aux projections de films, de vidéos
puis écrans d'ordinateur… et surtout aux installations qui se
sont taillés la plus grande part cette année (les lieux s'y prêtent
parfaitement).
En revanche, très peu de sculptures. La peinture y est toujours
présente, elle constitue heureusement la trame de base et la maîtresse
de tous les arts…
Donc, Installations (avec un grand I) partout. Occupation maximum
des espaces jusqu'à saturation... Comme cette gigantesque toile
d'araignée en cordons de chaussures avec planètes intérieures
et filins dans tous les sens qui interdisent l'entrée dans la
salle.
Tout
au long des allées, on retrouve un signe habituel des rues de
nos villes, la carcasse de vélo encore attaché à un poteau.
Les
Installations du pavillon russe sont souvent les plus intéressantes.
On y a découvert là il y a des années l'œuvre de Kabakov, présent
depuis presque à chaque Biennale, mais pas cette année. Mais on
ne perd pas au change. Kabakov a fait des émules. Une installation
à sa manière mais plus chargée encore de cette déréliction qui
caractérise souvent les artistes russes.
L'installation de Kalyma est faite de bric et de broque, de bois
surtout grossièrement taillé et encore plus lourdement assemblé.
Construction précaire mais faite pour durer, éclairée de toutes
petites loupiotes jaunes, les vieilles, les très vieilles ampoules
de 10 ou 20 watts, très jaunes, éclairant si peu mais déclinant
des ombres inquiétantes ou illuminant des pantins de bois qui
dessinent et des mains émergeant de vieux pardessus pendus à un
clou qui font bouger les quelques tableaux-chromos d'une Russie
dépassée.
Toujours dans le pavillon russe et dans aussi peu de lumière,
une superbe installation de boules de verres suspendues par des
filins au plafond (Anatoly Shuravlev). Chaque boule contenant
d'autres plus petites boules qui jouent avec la lumière et d'encore
plus petites où un portait arrondi tournoie d'une personnalité
célèbre : John Lennon, Guevara, Kennedy, etc., (son panthéon personnel
?)
Le titre de l'expo de cette année est " Victoire sur l'avenir
"...
Dans
le pavillon Allemand, Liam Gillick nous propose un délire de rangement,
- ça sent le pin fraîchement raboté et tout l'espace du pavillon
est occupé par ces simples étagères.
Au
pavillon français, Claude Lévêque, qui s'est imposé au fil des
années et de ses installations, comme un des meilleurs installateurs.
Il s'adresse directement à notre sensibilité, à notre émotion
en créant des tensions dérangeantes en même temps qu'esthétiques.
" Le Grand soir ", c'est le nom de cette installation nous fait
pénétrer dans un univers carcéral fait de hautes grilles sans
portes. Les murs métallisés mais joliment irisés rajoutent à cette
impression d'univers froid où aux quatre coins sont enfermés (ou
est-ce nous qui sommes enfermés ?) des drapeaux noirs (flottant
sous le souffle de ventilateurs invisibles). L'espace est beau
et malgré tout pas triste.
Installation
suisse dessin au mur au scotch noir d'éléments de mobilier ? Sa
représentations suffirait-elle ?
Autre belle installation au pavillon Coréen, un assemblage de
stores multicolore découpant la lumière comme autant de traits
ou de croisillons colorés.
Twombly
très bien exposé chez Pinault semble avoir fait des émules : on
retrouve ses formes simples, enfantines chez l'Israélien Raffi
Lavie.
" For sale ", au pavillon Danois annonce un appartement témoin
très bizarre : une bibliothèque inaccessible (les premières marches
de l'escalier ont été démolies), une salle à manger coupée en
deux tables et assiettes comprises,
des
tableaux aux murs - en fait des écritaux rachetés à des mendiants
et mis dans des cadres dorées
une
cuisine à la vaisselle envahissante…
Au pavillon espagnol, pas d'installation (quoique), de la vraie
peinture et au-delà. Barcelo, qui aime la peinture-matière comme
personne, la projette sur des toiles avec un canon à peinture
de sa création. Ecailles, filets, coulures, stalactites et stalagmites
sont impressionnantes et dégagent parfois des formes insolites
comme celle d'un gorille ou des paysages, des animaux marins,
etc.
Quelques
céramiques viennent compléter ce goût de la terre manipulée et
colorée.
Roman
Ondák au pavillon tchécoslovaque rend l'intérieur du pavillon
à la nature qui l'entoure, niant ainsi la distinction entre l'intérieur
et l'extérieur.
Un
très beau travail en peinture, basique à l'extrême. Sur
de grandes feuilles, un rectangle peint d'un épais pinceau noir,
avec une couleur vaguement jaune-beige à l'intérieur, et c'est
tout… Mais c'est assez pour voir ce que Tony Conrad veut nous
dire de la présence de plus en plus envahissante des écrans...
même s'il n'y a rien dedans, L'artiste nous propose simplement
d'y projeter ce qu'on veut.
Au pavillon égyptien, on est accueilli par des géants de palme
tressé : vieux fumant le narguilé, femmes en prières, amoureux,
livreur de pain à vélo, et., le tout de la même matière qui sent
bon les vieux couffins de notre enfance.
Pavillon
vénitien : délire de verre, Murano reconvertie dans les formes
et des textures renouvelées à l'infini. Une expo
" Glasstress ", d'ailleurs aussi consacrée au verre dans le superbe
palais sur le grand Canal qui longe maintenant l'Académie des
Sciences et des Arts.
Avant
de quitter les Giardini, il faut aller boire un capuccino (mais
ne pas manger) au restaurant à la décoration folle de Tobias Rehberger