Hommage à

René ANFOSSO

dit La Science ou Sciença

 

Notre ami René vient de nous quitter. Personnalité niçoise attachante depuis au moins cinquante ans, il a été de toutes les aventures, de tous les combats de notre région.
Ecrivain, ses chroniques (illustrées par Ternengo, dessinateur de talent et créateur de chars de carnaval) ont fait les beaux jours de la célèbre revue niçoise La Ratapinhata Nova.
Militant, il a œuvré pour la langue nissarde, l'écologie politique toujours à la recherche incessante d'utopies réalisables.
Comédien, il a joué les rôles de vieux sages parfois un peu délirants dans de nombreuses pièces (dont certaines écrites par lui) et dans Going Back to Nissa la Bella, un film de Christian Passuello.
Doté d'une mémoire hors norme, il était capable de vous citer un passage de la page 24 d'un livre lu il y a trente ans.
Sa culture immense provenant de ses lectures et de ses très nombreux voyages à travers le monde était volontiers partagée avec tous ses amis ou avec tous ceux qui prenaient le temps de l'écouter.
Ouvert à toutes rencontres et aux projets les plus porteurs d'avenir, son énergie ne s'est jamais dementie.
Dans l'interview réalisée par le journaliste Denis Chollet, il raconte en partie son parcours qui donne bien la mesure de l'homme (ci-dessous).

« J’ai une grand-mère née à Pondichéry, mon arrière grand-père avait une maison ici mais ils ont préféré partir en Asie, mon père est né là-bas, il a été attiré par le bouddhisme, philosophie de l’équilibre dit-on. Justement, sans être ascète, je dirais qu’il faut savoir que si tu franchis une barrière ça peut devenir dangereux.
Je suis né à Monaco en 1942. Mon père m’a conçu avant de se faire coincer par des gendarmes français et se faire envoyer en Allemagne. Il avait géré des fonds de maquisards et a été dénoncé. Il sera libéré par les russes en 45. Mon grand-père est né ici, au Righi et les familles Anfosso sont d’origines piémontaises, du Val Peiso. J’ai 1/8ème de sang tamoul. J’ai fait des études à Marseille, à Luminy, en Sciences. J’ai obtenu une licence de bio-chimie, ce qui m’a permis d’être empoisonné plus tard dans une usine de produits chimiques et alimentaires à Nice.
Mon père était conseiller en placements financiers. Auparavant il avait été officier de marine, d’où nos déplacements. Il a été avec le père de Max Gallo dans le syndicalisme lié au secteur bancaire, et franc-maçon dans l’obédience garibaldienne.
Dans les années 60, j’ai fréquenté la brasserie Le Provence, comme d’autres devenus célèbres depuis. J’ai le souvenir du club de jazz créé par Alex. C’était plein, ça venait de partout, c’était chaleureux. Ben a fait ses premières actions publiques. Moi j’aimais bien venir aussi jouer au flipper. Puis il y a eu les pieds-noirs à la brasserie Le Félix-Faure, au retour d’Algérie où nous étions pendant quelques années à cause des mutations de mon père, j’avais pris l’accent de là-bas. Des anciens de l’OAS désireux de repartir à l’action, fréquentaient le Félix. On fonctionnait par affinités.
J’ai connu un afghan au Provence et on est parti pour l’Orient en Mercedes. Azizoula Khan, qui avait fait des études en français au lycée de Kaboul, qui avait était le fils d’un maire adjoint de Kandahar, à l’époque du roi, nous a guidé en 3 semaines : Yougoslavie, Turquie sur les routes en terres battues, l’Iran qui recevait déjà deux chaînes TV et vendait les pantalons en Tergal, très occidentalisé, et l’Afghanistan comme en plein conte des Mille et une nuits, très bien reçu par la population. Un Moyen-Âge sans islam agressif.
Mon père a toujours voté Virgile Barel, sans être membre du Parti Communiste, contre « Jean proumessa », le père de Jacques Médecin, celui qui ne tient pas ses promesses…
Au magasin de Ben, j’ai acheté un 33 tours de musiques indiennes (anthology of indian classical music), des 45 tours des Beatles, des disques de jazz, Sarah Vaughan, la bossa nova et tout ça.
Avec Alain Pelhon et Jean-Luc Sauvaigo, je me suis retrouvé dans le Comité niçois d’Etudes Occitanes, François Fontan venait au bar-restaurant « Chez Jacques », en bas de la fac de lettres, haut-lieu des gauchistes. François Fontan était alors en exil au Piémont, fondateur du Parti Nationaliste Occitan, tandis que je considérais la culture comme possibilité d’ouvrir au-delà du concept de nation.
Quand j’ai connu René Gilles, il venait de finir son armée à Taverny en 1970, ancien engagé volontaire. Avec René Gilles, à l’occasion du Festival du Livre de Nice, en 1972, on avait pris une vieille dauphine, automobile populaire. Patrick Pater avait fait les lettres, la découpe. J'ai aidé à la fabrication. Le toit s’ouvrait comme une boîte à sardine. On fréquentait un petit café, le « Mominette » rue du pont vieux, où se retrouvaient aussi de vieux niçois. Jules Bocchino, le patron, avait fuit le fascisme et Mussolini. C’est là que sont nées les idées pour les revues L’Estrassa ou la Ratapinhata Nova, souvent vendues à la criée avec Tuck Certano, Savoia, Guy Doumas. J’ai connu Patrick Pater, compagnon de route de René-Gilles, qui avait un espace dans l’atelier de Jean-Marie Gouttin (qui fera plus tard des dessins pour la revue Le Sourgentin), lorsque je suivais les cours de sociologie à la fac, et je l’aidais à récupérer des panneaux et des tubes en PVC pour cette immense structure qu’il concevait. A cette époque où certains vivaient en communauté, on arrivait à récupérer de la nourriture à la livraison des épiceries au petit matin…
J’allai instinctivement vers les individus, suivant mes coups de cœur. On a oublié que Alain Madelin, politiquement « propre » par la suite, venait à Nice comme délégué du SAC de Charles Pasqua. A Nice, on a toujours été écartelé : d’une part cette douceur de vivre et d’autre part les coups fourrés dont la population est victime, manipulée par une centaine de gens qui escroquent très ouvertement.
Je voulais comprendre le fonctionnement de l’individu, l’aspect dérisoire de certaines attitudes, et ayant appris des sciences d’observation et d’application, je souhaitais avoir la même approche dans la vie quotidienne. Je suivais les cours de socio et de psycho. Bruno Goyeneche, d’origine basque, était là aussi, avant de jouer un rôle important dans les luttes occitanes, à travers une publication comme L’Estrassa.
Au Comité niçois d’éditions occitanes, se retrouvaient des héritiers des Félibres ainsi que des ultras : on considérait que la perte de la langue niçoise était une forme de mutilation, une atteinte à l’individu et alors, tels des chansonniers, on a décidé de faire des journaux. J'ai fait connaissance avec Alain Amiel, Guy Pelhon.
Je me retrouvais dans cette mouvance qui défendait la langue niçoise dont la pratique diminuait : Virgile Barel s’adressait à la population ou aux gens communs en niçois. Le Sourgentin, revue créé par Charles Malaussena, est né dans la mouvance.
Tuck Certano était un fils d’ouvrier du port, sa mère travaillait à la clinique Sainte Croix, il avait été fossoyeur à 18 ans, il a fait l’armée au Mont Agel et ensuite il s’est mis à la musique et sera de la formation de « l’Ontario ». Il y a eu des artistes engagés qui sont allés à Coaraze où le maire Paul Mari, poète, encourageait les initiatives culturelles.
Le milieu des niçois se composait de gens très différents, les anciens parlaient plus le niçois que le français. Les écrits de François Fontan, secrétaire général du parti occitan, n’étaient pas très diffusés. Mauris, ami d’enfance d’Alain Pelhon, a poussé pour l’édition de disques. On s’est intéressé aux militants qui avaient fait la résistance à Toulouse et on s’est rapproché d’eux. J’ai aussi parlé le corse par ma grand-mère. Mon père citait les proverbes dans la langue d’origine, il jouait aux boules place Arson. Ensuite Ben Vautier a réorganisé tout ça à sa façon, en rendant hommage à François Fontan. Dans les années 70, la langue niçoise résistait mieux que les parlers occitans en Languedoc. On avait la conscience d’être minoritaires, menant un combat désespéré entre marginaux, surtout dans la ville de Nice
J’ai pris des distances avec l’alcoolisme, avec la tentation des stupéfiants. J’ai voulu aller à Bombay me rendre compte de ça, sur la presqu’île de Kolaba et j’ai compris que c’était facile de sombrer.
J’ai travaillé plusieurs années chez Pellat-Finet, avenue des Diables Bleus, que Louis Nucera a rendu fameuse. Je manipulais des produits toxiques pour exécuter les impressions sur cellulose, sur de l’aluminium, en héliogravure dont le solvant est le trichloréthylène face à huit bacs de 50 litres. Je me traînais de fatigue, le soir, et en quittant mon service je n’arrivais pas à faire autre chose, à produire pour moi. Je travaillais de 8h à 16h. Impressions industrielles sur papier de boucherie, papier ciré, 7 passages et le vernis pour le paquet de pâtes. J’étais préparateur en encres, testeur assistant de l’ingénieur, sous le regard d’un contremaître, vrai chien de garde ».

Ces dernières années, il se partageait toujours entre le théâtre, la radio et des activités militantes autour de la défense de la langue.
« Oui, les gamins veulent apprendre la langue niçoise, même s'ils ne sont pas né ici et veulent s'enraciner dans un pays niçois intégré à l'Occitanie dans une Europe refondée ».
(in Mefi, Sciènça parla, interrogat per Cristòu Daurore, Babazouk juillet-août 2001.

Vous pouvez retrouver son site personnel :
https://www.facebook.com/renepierre.anfosso?fref=ts

ou la page "Omenatge a Sciença" qui lui est consacrée https://www.facebook.com/groups/1770108183224530/?fref=ts

Un premier hommage de l'artiste Ben, vieil ami de René :

"René Anfoso est mort
il va nous manquer
il mérite des funérailles nationales
à  l'Elysée
avec  la garde  nationale
avec les choeurs de l'Armée Rouge
avec le Couro di Berra qui chante Se Canta "

 

 

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