La Provence
du XIXe siècle n'a pas été tendre avec ses peintres.
Monticelli meurt à Marseille dans l'indifférence, on
l'enterre dans une fosse commune... Vincent Van Gogh, quelques années
plus tard à Arles, est l'objet d'une pétition de 36
arlésiens demandant son enfermement, ce qui a suffi au Maire
pour le faire interner dans des conditions abjectes...
Et Cézanne, pourtant fils de notable de la ville (son père
a fait fortune dans la banque), a été ignoré,
rejeté par ses compatriotes, le Conservateur du Musée
ayant même juré "que de son vivant, il n'exposerait
jamais.
Sa famille même, ne croyant pas en son talent, s'empressera
à sa mort de vendre toutes les toiles qui restaient à
des amateurs anglais et américains.
Heureusement, sa maison a été préservée
de la démolition grâce au poète Marcel Provence
qui l'a acheté et habitée sans toucher à l'atelier.
A sa mort, c'est sur l'initiative de John Rewald que des sommes ont
été collectées au Etat-Unis et en Europe pour
acheter l'atelier dont Cézanne lui-même avait réalisé
le plans.
Dans ce même musée où adolescent, il apprenait
à dessiner et à peindre (ex-Académie de dessin)
une exposition à la hauteur de son talent lui est enfin consacrée.
Toute la cité d'Aix s'est mobilisée (Cézanne
serait bien étonné de voir sa ville entièrement
pavoisée à ses couleurs) et une cinquantaine de manifestations
diverses (rencontres, hommages, visites, conférences, etc.,)
accompagnent cette exposition.
Au-delà de la ville d'Aix, toutes les instances nationales
se sont impliquées pour donner à cette manifestation
une ampleur inhabituelle (dans le catalogue, il y a même une
préface de Jacques Chirac).
En provenance directe du Musée de Washington, cette exposition
présente 117 toiles et dessins qui recouvrent l'ensemble du
parcours du peintre. L'axe choisi par les organisateurs est son rapport
à sa région natale.
Dès ses premiers dessins à l'Académie d'Aix,
on constate une maîtrise parfaite du trait et modelé.
Pendant ses jeunes années, il recherchait une peinture "couillarde"
faite de contrastes puissants, de matières épaisses
et grasses, sculptées au couteau.
Sa rencontre avec Pissarro sera déterminante. Il apprend la
fragmentation des touches, se discipline, se calme. Sa palette s'éclaircit.
Il est considéré comme un Impressionniste (il expose
avec eux en 1873 et 76), mais s'en détache vite. Il préfère
s'éloigner de la réalité pour ne s'intéresser
qu'à l'image mentale du paysage qu'il reconstruit. Il fait
se mesurer les arbres aux angles des maisons, la nature aux créations
humaines (toujours vides).
Sa peinture continue à se simplifier, il veut "traiter
la nature par le cylindre, la sphère, le cône".
La
Sainte Victoire en est l'expression l'image emblématique. Monstre
au repos, sculpture infinie à peindre, elle est le fil rouge
de l'exposition. On assiste à travers ses différentes
représentations (de 1880 à sa mort) à la progression
de sa vision, toujours plus dépouillée.
Les dernières années, la Sainte Victoire lui suffisait,
il n'aurait pu peindre qu'elle... Seules les "sensations colorantes"
, le subjuguent, l'illuminent.
Le paysage, la composition l'intéressent de moins en moins,
les vibrations colorées et quelques traits lui suffisent. Il
devient le "peintre de la lumière et du frémissement"
(??)
Il y passe des journées devant sa Montagne, obnubilé.
Des couleurs de plus en plus évanescentes s'estompent jusqu'au
blanc absolu des toutes dernières oeuvres, où seules
quelques sensations colorées disséminées ça
et là, subsistent, suffisantes pour évoquer un paysage...
Presque rien sur un blanc infini...