Lettre arrivant tout juste au moment où j’étais
encore abruti par le soleil et la tension de mener une assez grande
toile.
dessin de jardin en fleurs, j’en ai également deux
études peintes..
je ne sais point si jamais je ferai des tableaux calmes et tranquillement
travaillés, puisqu’il me semble que cela restera
toujours décousu. (512, 24 juillet)
Je viens de peindre
une mousmé. Cela m’a coûté toute la
semaine, je n’ai rien pu faire d’autre, ayant encore
été pas trop bien portant. (514, 29 juillet)
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Lundi
23 juillet
Bernard m'a
écrit. Il m'a envoyé dix dessins de bordel. Trois
d'entre eux sont très influencés par Odilon Redon.
Il en est très enthousiaste, mais je ne les apprécie
pas vraiment. Ils manquent de trop de choses pour décrire
l'ambiance et les émotions qu'on trouve dans un bordel.
Il faudrait que j'essaie de faire une peinture du bordel de la
rue des recolettes avec Rachel.
Mardi
24 juillet
J'ai travaillé
sous le soleil à une assez grande toile de jardin en fleurs,
une
étude où il n'y a presque rien de dessiné,
ce ne sont que des taches de couleur à la Monticelli.
Quand mes
doigts se dégourdissent, ma peinture devient meilleure.
Si je pouvais faire plus de portraits, j’apprendrais encore
plus.
Je me rends compte que, involontairement, les œuvres forment
« groupe », série.
Le portrait est la chose la plus difficile, le grand art, malheureusement,
je ne peux obliger les gens à poser, ou alors il faut payer
cher.
Mercredi 25 juillet
Je me suis fait raser la barbe, ça me fait drôle
quand je me vois dans le miroir. J'ai l'air d'un abbé.
J'apprends
que l'oncle Cent est très malade. Je ne lui en veux pas
bien qu'il m'ait complètement laissé tomber. Pas
plus à lui qu'à mes autres oncles, qui pourtant
enrichis par la vente d'œuvres d'art, ne m'ont pas soutenu
dans mon projet de devenir peintre. Commes les marchands, il ne
se sont intéressés qu'aux artistes en vue.
Jeudi 26 juillet
Gauguin ne semble pas pressé de venir. Tant mieux, j’avais
peur qu'il ne se plaise pas ici et qu’il nous le reproche
ensuite.
Je n'ai besoin de personne. J'ai dit à Theo de ne pas insister.
J'ai tellement l'habitude d’être seul que s'il venait
ça me ferait un changement terrible.
Vendredi 27 juillet
J'ai refait l’accrochage de tableaux sur mes murs, ça
rend bien, c'est j'ai comme une exposition chez moi : les champs
de blé, les marines, le semeur, Montmajour, les portraits
du zouave, de la jeune fille, c'est pas mal. Je me rends compte
combien mes couleurs ont changé avec le temps. C'est criard
et harmonieux à la fois. Je crois que j'arrive plus à
exprimer l'effet que me fait la nature d'ici. Le soleil éclaire
tout violemment. La nature est plus simple.
Samedi 28 juillet
Il faudrait faire en peinture ce que Zola et Balzac font avec
leurs livres. Raconter le tout de l’humanité, de
l’époque où l’on vit.
Dimanche 29 juillet
J'ai fait de portrait d'une jeune fille, une mousmé. Elle
a bine posé, tranquillement, comme si elle avait fait sa
toute sa vie.
C'était
vraiment agréable à faire. Il n’y a que le
portrait qui me donne ce sens de l’infini. C’est la
seule chose qui m’émotionne au plus profond. C’est
à ceux-là qu’on reconnaît les grands
peintres. Frans Hals et Rembrandt sont les plus grands portraitistes.
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