J’ai fait
encore une fois le vieux paysan (528 26 aout)
j’ai
également un bouquet en train, et aussi une nature morte,
une paire de vieux souliers (529, 29 août 88)
J’en ai
aujourd’hui envoyé un dessin à Théo
qui est comme un crépon japonais. (532, 4 septembre)
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Lundi 27 août
Bernard a rejoint Gauguin à Pont-Aven; Il aurait pu venir
plutôt ici. C’est sûr qu'ils sont tous plus
attirés par Gauguin que par moi. J'en suis un peu blessé,
mais Pont-Aven est plus près de Paris.
Le paysan
a bien voulu poser de nouveau. J'en ai réalisé un
bon portrait.
Mardi 28 août
Grâce à l'argent, aux toiles de Theo, j'ai travaillé
comme un fou. Ce serait vraiment idéal si je pouvais peindre
sans regarder à la dépense. Je pourrais faire autant
de tableaux et aussi vite que je voudrais. En une heure, à
la Daumier.
J'ai préparé le rouleau de 35 toiles que va apporter
Milliet à Theo. Il va avoir un bel ensemble : les arbres
en fleurs, le bateau sur le Rhône…. J'attends de savoir
comment il va les prendre. On va dire encore que c'est trop vite
fait, mais il y en a de très bons dedans.
Pourvu que l’on soit d’accord et avec le parti pris
de ne pas nous quereller, on y gagnera une position plus ferme
quant à la réputation.
Mercredi
29 août
J’ai reçu enfin une lettre de Theo ; il a vu Milliet,
mais ne me dit pas grand-chose sur les peintures.
J'ai
déjà dépensé tout l’argent que
Theo m'a envoyé. J'ai payé les modèles le
vieux paysan et une jeune fille; j'ai plus un sou, j'espère
que Theo va vite m’envoyer un supplément. Il va trouver
que j'exagère. Il aura raison.
Je me suis amusé à peindre mes vieux souliers. J'ai
essayé d'y mettre toute l'humanité, les efforts,
la fatigue autant que moi? Ces objets qui nous accompagnent pendant
des années, qui se moulent sur nos pieds pour en devenir
presque un complément nécessaire. Ils finissent
par faire partie de nous. On a du mal à s'en séparer.
Ils racontent l'endurance, la fatigue et aussi le nécessaire
allant la volonté de continuer comme de braves soldats
dans la mouise, mais qui avancent bravement
Jeudi 30 août
Bernard a rejoint Gauguin à Pont-Aven.
Pas un mot de Gauguin qui préfère se débrouiller
avec les amis du Nord. Pourquoi n’ai-je pas le droit de
faire à ma tête ? me prêter 300 f d’un
coup. J’achèterai deux bons lits complets à
100 f chacun.
Cela me mettrait en état de coucher chez moi, de pouvoir
loger Gauguin ou un autre. Qu’il vienne ou pas, du moment
que nous soyons prêts à le recevoir.
Je me compterai bien heureux de travailler pour une pension juste
suffisante et ma tranquillité dans mon atelier toute ma
vie/
Vendredi
31 août
J'ai passé la soirée d'hier avec Boch. On est allé
au café de la place du forum. Avec son éclairage
jaune, il luisait dans la nuit. Ce serait un bon motif à
peindre.
Je crains que je n’aurai pas un bien beau modèle
de femme qui avait promis. Elle était extraordinaire, le
regard était comme celui de Delacroix et une tournure bizarre
primitive.
C’es agaçant cette contrariété continuelle
avec les modèles.
Samedi
1er septembre
Je
suis toujours tenté de travailler de plus en plus vite.
Si j’osais, je pourrais enlever un portrait en une heure,
à la Daumier. Ils diront que c’est de la peinture
de voyou, mais c’est ce que j’ai envie de faire. Le
sentiment y est en plein et moi je suis dans l’excitation
et la jouissance du geste et de l’œil. J’oublie
tout. Je ne suis qu’un peintre qui peint.
J’ai trouvé un nouveau motif. Au bord du Rhône
je viens de voir le spectacle magnifique d’un bateau et
des déchargeurs de sable.
J’en ai fait une étude, mais il m’en faut d’autres.
Je lis ces jours-ci Maupassant, Zola, de Goncourt, Balzac.
Dimanche
2 septembre
Je commence à avoir pas mal de toiles présentables.
Je voudrais arriver à en faire une centaine. Il y en aurait
des bonnes et des vendables.
Je voudrais faire d’autres bouquets de tournesols. Ce sera
ma fleur fétiche comme Janin a la rose trémière,
on dira que j’ai le tournesol.
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