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Lundi
21 mai
Je suis retourné
à Montmajour. J’ai fait deux dessins de l’abbaye
en ruine (F1417 et F1423) pour montrer à Théo à
quoi ça ressemble. C’est un coin assez extraordinaire,
une juste hauteur d’où on a l’impression de
dominer le monde et de voir les détails très loin,
des perspectives très larges et lointaines, une succession
de lignes horizontales jusqu’aux petite montagnes qui ferment
l’horizon.
Je suis inquiet pour Theo, je lui ai envoyé une très
longue lettre. Je me remets au moment où Theo va mal et
je ne suis pas à côté de lui pour le soutenir.
Sa maladie de cœur vient de sa dépression ? On
se sent cheval de fiacre alors qu’on préférerait
être sauvage libre dans la prairie en compagnie d’autres
chevaux et bien sûr de juments. Nos maladies viennent de
là, de notre aliénation. Comme les chevaux de fiacre,
on est triste et abattu, accablé par notre sort et toute
l’énergie perdue se transforme en mauvais sang. Même
si on ne se révolte pas, on n’est pas résigné
non plus, c’est le corps qui souffre. Heureusement, notre
croyance en l’art, à la poésie.
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Mardi
22 mai
Les dernières toiles me redonnent l’espoir de réussir.
Je me sens moins anxieux et je travaille avec beaucoup plus de
calme. Il semble que ça me réussisse. Malheureusement,
il n’y a pas de recette miracle pour faire une bonne toile.
Pourquoi, de temps en temps, une qui écrase les autres.
C’est dans la simplicité des formes et des couleurs
que je dois chercher. Je ne sens plus tant le besoin de me distraire,
je suis moins tiraillé par mes passions, et je puis travailler
avec plus de calme, je pourrais être seul sans m’embêter.
J’en suis sorti dans mon sentiment encore un peu plus vieux,
mais pas plus triste..
J’ai
reçu des sonnets de Bernard. Je lui ai critiqué
certains qu’il fallait qu’il les retravaille un peu
plus.
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Mercredi
23 mai
Les
artistes ne sont pas pris au sérieux, ni ici, ni ailleurs.
Nous sentons la réalité de ce que nous sommes peu
de chose, et que même pour n'être un anneau dans la
chaîne des artistes, nous payons un prix raide de santé,
de jeunesse, de liberté.
Jeudi
24 mai
J’ai lu que le père Corot avait vu en rêve
des ciels roses et jaunes et verts. Il ne se trompait pas. Les
Impressionnistes les ont faits pourtant. Il a eu la prescience
de ce que la peinture allait devenir. Le mouvement est plus important
que l’homme et le dépasse. Je suis sûr que
naîtra dans l’avenir un art si jeune et si beau que
tous seront étonnés. Cela me rend serein et me console.
Je sais que mes œuvres resteront.
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Vendredi
25 mai
Il fait très
chaud maintenant. Les ballades à Montmajour me laissent
épuisé. Une fatigue agréable néanmoins.
Je dessine beaucoup. Le dessin est bien plus nécessaire
et apprend plus que la peinture. On ne dessine jamais assez.
Ces grandes perspectives de Montmajour me posent beaucoup de problèmes.
Je cherche maintenant les lignes essentielles du paysage et je
laisse dans le vague exprès le banal. J’arrive mieux
à extraire l’essentiel, mes dessins y gagnent en
puissance, leur architecture et plus solide. Je n’ai plus
peur de faire de grands aplats de couleur à la manière
des Japonais. Ce que je fais est très japonais, comme si
je continuais le travail d’Hokusai ou de Yensen.
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Samedi
26 mai
Les paysages
que je vois ici m’exaltent, je sens qu’ils m’aident
à m’élever un peu plus. Probablement à
cause de cette hauteur idéale où je travaille. Ce
que je vois est magnifique. De l’or, des verts, des jaunes
éclatants comme je n’en avais jamais vu. Ce monde
est vraiment beau. C’est quand même dommage que toute
cette beauté soit gâchée par les erreurs graves
des hommes. Le Créateur a dû bâcler cette étude,
il a dû la faire à la hâte un de ses mauvais
jours. Il ne devait pas avoir sa tête à lui quand
il a fait ce monde. Cette étude est malheureusement éreintée
de plusieurs manières. Il a absolument réussi la
nature, mais presque complètement raté l’être
humain qui est veule, lâche, ne pensant qu’à
son profit. Il n’y a que les maîtres pour se tromper
ainsi. On a le droit d’espérer que les autres mondes
soient mieux finis.
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Dimanche
27 mai
Je suis encore inquiet pour Theo. Le docteur Gruby n’a pas
l’air de le prendre au sérieux. Pourtant il se plaint
d’être toujours fatigué, de manquer de souffle,
de se sentir las et déprimé. Et ses patrons qui
l’exploitent, comme ils m’ont exploité, et
renvoyé ensuite, sans gêne. Ils veulent maintenant
l’envoyer en Amérique. Il n’a pas la santé
pour ces aventures. Je lui ai écrit de me prendre avec
lui dans ses voyages. Je préfère tout abandonner
plutôt que le voir s’éreinter pour gagner de
l’argent que je dépense sans arrêt. Ce dimanche
est magnifique, il y a un soleil splendide et pas de vent. Cela
ferait du bien à Theo tout ce soleil. Je me suis arrangé
avec le gérant de la maison. Il est d’accord pour
la faire repeindre entièrement, Elle en a bien besoin.
Il y avait longtemps qu ‘elle n’avait pas été
habitée et s’est beaucoup dégradée.
Cela me coûtera dix francs, mais ça vaut le coup.
Je voudrais peindre l’intérieur avec de la chaux
blanche et l’extérieur en jaune, les volets verts.
J’y travaille avec plaisir. J’ai très envie
de faire des dessins à la plume, colorés à
teintes plates à l’aquarelle, comme les crépons
japonais. J’ai demandé à Theo de m’envoyer
quelques tubes d’aquarelle.. |
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