D’où je viens ?
A soixante ans révolus, j’ai eu besoin de revisiter
mon enfance. A défaut de replonger dans des souvenirs,
forcément reconstruits et trop épars, je suis retourné sur
les lieux, comme si une topographie ou une architecture pouvaient
dire quelque chose qui m’éclairerait sur l'homme
que je suis devenu. Les lieux, au moins, ne parlent pas, donc
ne mentent pas.
J’ai donc revu tous les coins où l’enfant
que j’étais a grandi.
Quand s’arrête
l’enfance ? (s’arrête-t-elle ?).
Pour moi, c’est un bloc compact, elle se clôt à 17
ans quand j’ai
quitté Rabat pour Nice.
Et quarante ans plus tard, je reviens au point de départ à l'écoute
de mes émotions
et de mes réflexions.
Revisiter
sa ville natale et au-delà rechercher ses
origines, c'est d'abord voir des tombes. Le cimetière de
ma famille est maintenant dans la ville (quartier de l'Océan).
Je m'y suis rendu accompagné d'une parente (merci Sylvia)
pour me recueuillir sur les tombes de mes grands-parents. Puis
j'y suis retourné quelques
jours plus tard pour vérifier certaines informations, essayer
d'en découvrir d'autres et prendre beaucoup de photos. (voir REGISTRE
CIMETIÈRE).
Deux tombes m'intéressaient particulièrement
: celles de mes grands-pères que je n'ai pas connus et qui
pourtant ont eu une importance décisive dans ma vie...
D’abord,
configuration de ma mise au monde.
Mon grand père paternel, David, grand voyageur, chercheur
de fortune, a parcouru toute l’Amazonie de Belem à Iquitos
(entre 1904 et 1929), extrême bout de l’Amazone,
où une
photo le montre dans son Baratillo, le magasin qui porte fièrement
son nom.
Photo du Baratillo, 1912
Puis retour à Rabat auprès de
sa femme et son fils. Il a été absent une vingtaine
d’années (voir dossier Iquitos).
Le peu de choses que je savais de sa vie extraordinaire m'a toujours
fait rêver. Après avoir traversé l'Amazone de
bout en bout, commercé avec les Indiens, et bâti un
magasin comme j'en voyais dans les films de cow-boys, un drugstore où s'entassent
des vêtements, des valises, des couvertures, etc., il était
revenu tel Ulysse, retrouver
sa femme, son flis et sa famille qui ne l'avaient plus vu depuis
très longtemps (comment se sont passées
les retrouvailles ?).
J'ai commencé à faire des recherches sur lui. Pour
l'instant, je n'ai que deux documents (cette photo et une carte d'identité brésilienne
avec une adresse à Manaus). J'ai dans
mes projets de voyage une visite à Iquitos.
Tombe
de mon grand-père paternel
David S. Amiel
Selon la tradition
familiale, chaque enfant doit porter le prénom d'un ascendant
disparu. Mon grand-père est mort le 4 mars 1948 (à l’âge
de 67 ans). Mes parents m’ont
donc mis en route l’année qui a suivi sa mort,
vers début
février
(ils ont mis du temps à se décider ? à essayer ?
ou moi à accepter de venir au monde ?).
Je suis né le 10 octobre 1949, mais l’embryon que
j’étais
a dû souffrir car pendant que ma mère m’attendait,
elle a assisté à l’agonie et à la
mort de son père (dont elle devait être
particulièrement
proche - elle a été sa secrétaire
dans l’agence
immobilière qu’il avait créée).
De plus, son dernier enfant était mort-né (une petite
fille qu’elle a dû garder jusqu’à terme
alors qu’elle savait par son médecin que le cœur
de l’enfant ne battait plus (ça se faisait, paraît-il).
Donc anxiété à ma naissance... Pas terrible,
mon arrivée au monde. Mais bon.
A ce jour, je
n'ai pas la date exacte de la mort de mon grand-père maternel,
juste l'année,
celle de ma naissance. Pourtant savoir s'il est mort quelques
jours ou quelques semaines précédant ma venue
au monde me renseignerait sur l'état de tristesse de
ma mère.
Enfant calme, plutôt timide, j’étais
très proche de ma grand-mère Mama Nouna (la femme
de l’explorateur), qui vivait avec nous. Mes parents étaient
très occupés, mes frères et ma soeur trop
grands - je suis né dix ans après le
dernier, Jacky). J'ai donc passé mes premières années
avec ma grand-mère, une « sainte
femme » très douce et arrangeante qui n’aimait
pas les tensions et arrondissait tous les angles (j’en ai
gardé le trait).
Mon autre grand-mère, Zamila,
femme énergique,
coléreuse
parfois, était crainte par toute la famille,
une mater familias dont j'aimais l'humour et son côté "architecte" (elle
adorait changer le plan de sa maison, les murs étaient constamment
déplacés). On dit que c'est d'elle que vient le goût
de mon cousin Michel pour l'architecture.
Le ville était de Rabat est bordée par
le Bou-Regreg, un fleuve que j'ai souvent traversé à la nage.
Tombe
de ma grand-mère maternelle
Zamila Attias, née Attias
.
Tombe de ma grand mère paternelle
Rena Amiel, née Benoualid
De l’autre côté, c’est
Salé, un port important de Corsaires où à partir
de 1492, mes ascendants ont accosté, fuyant la barbarie
d’Isabelle la Catholique qui les avait chassé d’Espagne.
Curieuse année que celle où Christophe Colomb
a entrepris son premier voyage et où Grenade est
tombée,
marquant la fin de la Reconquista. L’Espagne était
unifiée
pour la première fois avec le Castillan imposé à tous.
Et les juifs et les musulmans, dehors. Toute les richesses
en sciences, en littérature et en arts (les
Juifs y avaient contribué fortement) de la mythique
Al Andalous, ont été niées, refoulées.
De la vie en harmonie (pas tout le temps) des trois communautés
religieuses est née une civilisation raffinée
et tolérante.
Mes aïeuls (et moi-même) ont-ils hérité un
peu de cette culture ? On avait pas mal de mots d’origine
espagnole dans notre vocabulaire et notre musique est dite
"andalouse". Mes
deux grands-mères
parlaient un arabe marocain customisé avec de l’hébreu
et de l’espagnol, mes grand-pères, je
suppose aussi, quant à mes arrières grands-parents,
et au-delà, je ne sais rien d'eux.
C’est à l’âge
de mes parents que le français s’est imposé avec
l’instauration du Protectorat de la France (1912) et
les écoles
de l’Alliance. Quand les Français sont arrivés,
les Juifs vivaient très pauvrement (presque tous)
dans le Mellah derrière les remparts.
Entrée du Mellah
Murailles
Un essor économique a lieu (à partir
de 1925), des villes se développent (l’architecture
si sympa des années 30), des jardins, des commerces.
Des écoles
sont créees, les Juifs vont s’instruire.
On sort du Mellah, on habite les nouveaux centres, on entreprend.
Mon grand-père paternel est dans l’immobilier, ça
marche, il achète des terrains, une maison. L’autre
grand-père, revenu du Brésil sans y avoir fait
fortune, s’est installé tailleur dans le Mellah,
mais il habite avec sa femme et son fils (puis avec sa belle-fille,
puis nous) dans une nouvel appartement en ville. C'est
dans cette maison que j'ai passé mes dix premières
années. Un immeuble génial,
rempli d’enfants.
Les familles juives (les Cohen, les Amzallag, les Bohbot),
et non juives (les Rato, les Michel) avaient une nombreuse
progéniture.
J'ai voulu le revoir, mais je n’ai pu photographier que sa façade,
Le petit immeuble est maintenant fermé et
voué à la
démolition. Pourtant, j’aurais adoré revoir notre
appartement et les terrasses et surtout sa cour centrale,
notre terrain de jeu favori. Je m’y
revois à tous
les âges : tout petit jouant au ballon, puis aux cow-boys
et aux Indiens (je m'identifiais plutôt aux Indiens,
j’ai
même
eu une coiffe de plumes multicolores et un arc avec
des flèches) et plus tard,
entre huit et dix ans, jouant au hand-ball, mon sport favori
avec la natation.
Le 32, rue Capitaine Petitjean
Presque au bout de cette rue, j’ai
redécouvert le four où nous allions le samedi
midi (comme tous les familles juives) récupérer
la dafina déposée le vendredi après-midi.
Ce quartier de mon enfance - mon
univers - comprenait les rues alentours, celle où habitait
ma tante Margot en face duquel était le glacier La Ibense
où j’adorais
déguster
les aqualimons (un goût que je recherche toujours).
Avec sa grande cour à ciel ouvert à l’entrée,
la maison de ma tante était belle et joliment meublée
(son mari avait eu un magasin d’ameublement) : un lit à baldaquin
et estrade, un salon immense avec bar et piano (une de mes cousines
en jouait), grands canapés, fauteuils aux tons havane. Un
lieu de fêtes
avec whisky et papotages, disques d’Aznavour sur la platine,
rires, une rumeur ambiante que j’aimais. J'avais beaucoup
d'oncles et de tantes (les Attias, Azogué, Bénaïm,
Lasry), de cousines, de cousins (une vingtaine) et nos parents
se recevaient souvent... Mon enfance a été grégaire
(encore un marqueur, je n’ai jamais été un
solitaire). Il me reste ce plaisir de la compagnie, des réunions
familiales (plutôt amicales maintenant) joyeuses, des retrouvailles
enjouées.
L'entrée de la maison de ma Tante Margot
Le glacier La Ibense (il ne font plus d'aqualimon)
Juste un peu plus loin, Talmud Torah où j'apprenais
tous les étés l'hébreu. Il n'y a plus d'enfants,
juste quelques Juifs du troisième âge.
La
Synagogue de Talmud Torah n'a pas changé, c'est la dernière
de Rabat.
Avec mes premiers amis et voisins Elie, Maurice et Michel
Cohen, nous allions à la
plage de Salé où ils avaient un grand cabanon en bois sur pilotis
(le sable en-dessous était frais). Puis, avec mon cousin Marco, qui
avait deux ans de plus que moi, on allait tous les jours en été à la
piscine du CNR (elle n’existe plus). C’est lui qui l’a
appris à nager. J’ai depuis toujours aimé les piscines
et l’ambiance sonore qui y régnait (Nanni Moretti
en a fait un film). J’aimais plus plonger que nager. Sensation
un peu violente de pénétration, de remous et de
glissement souple, la courbe parfaite.
La
piscine était juste là où passent les voitures
Mon frère aîné travaillait
dans la grande librairie de Rabat Les Belles Images.
Elle existe toujours, même si elle a un peu retréci
(les souvenirs voient toujours les espaces plus grands). Enfant,
je l’ai
beaucoup fréquentée.
Au sous-sol, derrière le rayon livres d’enfants
(il était derrière les piliers)
s’ouvrait
une galerie de tableaux. Je voyais passer les amateurs de peinture
(souvent des couples), s’arrêter
devant des toiles, chuchoter puis repasser devant moi après
avoir fait le tour.
Des livres et des tableaux, l’essentiel
de ce qui m’occupe toujours...
A côté, le cinéma Colisée dirigé par
un ami de mon frère, j’y rentrais gratuitement voir
des films comme la Nuit Américaine, et les premiers
Fellini... Il est maintenant fermé (définitivement
?)
Avec l'aide de mon frère aîné,
ma mère
a ouvert sa propre librairie qui a débuté dans
un garage avec quelques étagères. Puis rapidement
une vitrine, une enseigne « Bibliothèque
du Chella » (on était dans le quartier du
Chella, une forteresse mérinide bâtie sur une ancienne
cité romaine). Au garage qu'elle avait bien aménagé,
ma mère
avait rajouté une
soupente puis loué le studio juste derrière (ça
s’agrandissait).
Comme sur la porte à côté, les premiers temps,
on devait tirer le rideau le soir.
Je me revois, aidant ma mère à le
refermer.
J’y ai passé beaucoup de temps. Très jeune,
j’aidais efficacement mes parents pour la rentrée
des classes où une foule d’élèves
accompagnés de leurs parents, se pressait à notre
porte pour acheter les livres scolaires de l’année à venir
(et nous vendant ceux de l’année précédente).
Quand mes parents ont quitté Rabat, ma belle-soeur Renée
a repris la librairie, (quelques années plus tard,
ils sont venus à Nice à leur
tour). Mais cette librairie existe toujours.
Elle a gardé les mêmes étagères,
la vitrine, la caisse. Rien n’a bougé.
Vue de la soupente
La caisse de ma mère est encore là.
Abdallah a repris la librairie ; c'est un
vrai professionnel, compétent
et sympathique. Avant de quitter
Rabat, je
lui ai apporté un
de mes livres sur Van Gogh.
Dans la librairie créée par mes parents, il y a
maintenant un livre qui porte mon nom.
Après avoir vendu, puis édité des livres,
j’en écrivais. Une boucle était bouclée.
A côté de la librairie, le magasin Alcov’Voiles de ma tante Margot. J'étais très ami avec
mon cousin Bernard (je le suis toujours).
J'avais dix ans lorsque nous avons déménagé dans
le centre. Un grand appartement avec trois grande pièces
contiguës : un salon arabe avec des tentures rouges et blanches
aux mur, un grand tapis au sol et des banquettes (couvertes
de velours rouge et blanc aussi), un salon français avec
une banquette et des fauteuils "crapauds", puis la salle à manger
avec le gros poste de radio où j'écoutais les émissions
enfantines de Radio Maroc (avant d'y participer).
L'entrée de l'immeuble et les escaliers
Porte d'entrée de l'appart (ma chambre était juste
derrière
le mur de gauche).
Tout près de chez nous, l'immeuble Mondoloni où mon
frère habitait avec sa femme Renée, et ses enfants
Michelle et Yvon. Mon oncle André y habitait aussi
avec sa femme Renée, mes cousines
Esther,
Ruth et mon cousin Marco.
L'entrée de l'immeuble Mondoloni (en sous sol, La
Cage, une
des premières boîtes de nuit
avec L’Entonnoir qui était sous le Jour
et Nuit
Le Jour et Nuit. Nous y allions souvent.
L'Entonnoir. Ce règlement date de 1964. Il est toujours là.
J’ai fait mes études secondaires au
lycée
Descartes.
J’y ai rencontré de nouveaux amis
(les Cohen étaient partis) qui ont eu une grande
influence sur l’adolescent
et l’adulte à venir. Les frères Ebguy, Charlie,
mon ami, sa sœur (devenue
Sapho), avec lesquels je faisais du théâtre. On
jouait des petits sketches dans une émission de radio
pour enfants animée par Léon Noël. On a même
joué à la télé nationale.
Maison de la famille Ebguy (au premier étage).
Puis ma dernière bande d'amis : Dominique
(le plus poète,
devenu grand reporter), Carlos (fait des films en Argentine),
Jean-Claude (devenu professeur de Chinois à Bordeaux),
Vojko (Yougoslave), Bob (Ivoirien), Luis-José (Vénézuélien)...
Ces trois derniers, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus.
Ces amis d'adolescence m’ont appris le rêve, la poésie,
l’imagination,
l’intérêt pour la différence et même
le socialisme…
Quand je les ai quittés pour rejoindre mes parents installés à Nice,
Dominique m’avait donné un cendrier (piston) que
j’ai toujours baladé dans toutes mes piaules. C'est
grâce à Dominique d'ailleurs, que je suis revenu
à Rabat.
J'ai déambulé, repassant aux mêmes
endroits plusieurs fois (toujours quelque chose à vérifier),
admirant les façades, les nouveaux immeubles. Le centre-ville
est resté le même, juste un peu dégradé,
mais la cité s'est agrandie, de nouveaux quartiers ont
poussé.
C'était le 14 juillet, grâce à Dominique,
nous avons été invités au cocktail de l'Ambassade
de France. Une belle ambassade toute neuve avec de beaux jardins.
J'étais parti de Rabat jeune marocain, je revenais Français
au milieu des Français de Rabat (je n'en connaissais aucun,
pas plus que des marocains). La nuit était étoilée,
champagne et toasts délicieux. Je ne savais plus bien
qui j'étais
mais je m'en fichais...
Les jours suivants, au fil de mes
trajets dans ma ville natale, je retrouve des lieux oubliés...
Le cinéma Royal qui m'a forgé une imagination
largement influencée
par les westerns et les peplums.
Le Jardin du Triangle de vue (des milliers de fois traversé).
La gare
La poste
La grande église de Rabat
Le grand hôtel Balima. Beaucoup de fêtes familiales
( surtout des mariages) s'y déroulaient.
Les Oudaïas, la première forteresse de Rabat qui défendait
l'entrée du Bou Regreg. Etape obligée : on y a pris un thé et
des gâteaux... Les petites rues en bleu et blanc sont toujours charmantes.
Promenade dans les ruines du Chella : ruines
romaines, nécropole mérinide, cigognes...
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Pour finir, grande ballade et nuit sur le superbe
site romain de Volubilis.
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