LA
CUISINE JUIVE MAROCAINE
Ce
qui signe une cuisine, la définit, ce ne sont pas les légumes
ou les viandes qu’on y met (on trouve les mêmes à
peu près partout depuis plus d’un siècle), mais
la façon de les accommoder avec des épices…
Les cuisines antiques utilisaient encore plus d’épices
que maintenant. Ce n’est pas par hasard si le mot «
épicerie » a surclassé toutes les autres appellations
pour désigner ce type de commerce.
J’ai vite compris que pour la cuisine juive marocaine, il
faut absolument avoir en permanence chez soi : du piment doux (rouge
soutenu), du piment fort (rouge sang), du cumin (marron doré),
du macis (rouge orangé), du poivre (noir), du sel (blanc),
et surtout du safran (le jaune !), plein de safran… La gamme
du jaune pâle au rouge profond est complète...
SALADES
Le Zaalouk
J’aime sa texture souple et liée, légèrement
grasse, qui semble fondre dans la bouche, ses couleurs mordorées
aux œillades rousses, son goût astringent et poivré
et sa tiédeur, idéale à l’exacte température
du corps.
Cette salade m’apparaît aussi comme un met mythique,
sacré, donc compliquée à faire… Mais
dès mon premier essai, elle a (presque) le goût de
mon enfance…
Prendre une ou deux aubergines (un beau légume très
compact, « design » et pur de forme), faire quelques
incisions sur toute leur longueur avec la pointe d’un couteau.
Quand vous faites de la cuisine, arrangez-vous toujours pour que,
non seulement le résultat final soit beau, mais aussi, qu’à
chacune des étapes, la préparation soit agréable
à regarder. C’est très important. Si, de plus,
votre geste est élégant…
Les incisions doivent donc être bien réparties sur
l’aubergine. En les écartant, vous glissez quelques
petites gousses d’ail. Posez délicatement votre légume
chargé de son ail dans une casserole d’eau frissonnante,
puis laissez cuire le temps qu’il faut en vérifiant
de temps en temps le ramollissement de l’aubergine. Quand
vous la sentez bien souple, posez-là sur un tissu mouillé.
Puis pelez-la doucement. Déposez la chair dans un plat creux
en terre (c’est plus joli) et, à l’aide d’une
fourchette, écrasez-la doucement.
Prenez votre temps, le geste doit être agréable, la
matière se transforme sous vos yeux. Sa couleur s’éclaircit,
elle n’est pas uniforme, les grains plats émergent
d’une pâte sinueuse, troublée de filaments. Un
peu plus clairs, les petits morceaux d’ail parsèment
le plat. Bien lissé, vous avez une belle peinture abstraite
des années cinquante.
Quand vos yeux jugent le résultat satisfaisant et que vos
mains ont envie de faire autre chose, c’est le moment, votre
pâte est prête.
Ajouter du cumin, sel, poivre, piment rouge doux (beaucoup), piment
fort (peu) et macis. Puis rajouter de l’huile et du vinaigre
blanc (d’alcool). Mélangez tous ces ingrédients,
toujours en douceur pour que les saveurs s’interpénètrent
et se répondent.
L’idéal donc est de la servir à 37°. En
la préparant une demi-heure avant le repas, ça tombe
pile !
La
salade de carottes cuites
C’est celle qui a le plus de succès auprès
de mes amis. C’est encore plus simple à faire. Toujours
meilleure quand elle est fraîchement faite.
Faire bouillir des carottes (à l’étuvée
de préférence), les laisser un peu al dente, craquantes
(mais pas trop), les découper en rondelles assez épaisses,
puis ajouter dans l’ordre les ingrédients suivants
:
Cumin, piment rouge, macis, sel, poivre, huile d’arachide
et vinaigre blanc. Remuer doucement, bien mélanger. La préparation
doit avoir une jolie couleur jaune orangée et paraître
très onctueuse. Déguster tiède de préférence.
Un régal !Salade fraîche
Prendre deux tomates. Les peler (c’est toujours mieux d’ôter
la peau acide des tomates). Les découper en petits dés
carrés.
Prendre ensuite un ou deux piments doux marinés (on en trouve
en conserve en pots de verre), les découper en rondelles
fines (jeter les graines et la queue).
Découper un citron confit (au sel) en tout petits morceaux
carrés (taille d’un demi-ongle). Ajouter une petite
branche de céleri découpée en petits moreceaux.
Dans cette préparation, la taille de chaque ingrédient
est importante.
Mélanger et couvrir d’huile d’olive. Malaxer
doucement le tout à la main.
Cette salade accompagne omelettes, viandes, volailles, gratins,
et autres.
La
Choukchouka
Elle a la réputation d’être la plus représentative
des entrées de la cuisine marocaine.
Alors que les tomates et les poivrons n’ont que depuis le
XVIe siècle envahi les côtes de la Méditerranée,
on retrouve partout des préparations utilisant ces deux légumes
ensemble. Là encore, les épices font la différence...
Prendre deux poivrons verts et deux rouges… Le rouge et le
vert - couleurs des terribles passions humaines selon Vincent..
Faire rôtir les poivrons dans un four très chaud. Surveiller.
Dès que la peau commence à craqueler, les retirer
du four et laisser refroidir (quand on est pressé, on se
brûle - c’est toujours mon cas) puis les peler.
Découper en lamelles dans le sens de la longueur (ou dans
la largeur - j’aime mieux la plus grande longueur, ça
fait de très jolies ondulations).
Dans une grande poêle, chauffer une cuillerée d’huile
d’olive et verser les tranches de poivron. Laisser réduire
en remuant de temps en temps (ça réduit beaucoup).
Quand les poivrons sont cuits, verser le contenu d’une boîte
de 500 g. de tomates au jus (on peut le faire aussi avec des tomates
fraîches, mais c’est un peu plus long). Laisser réduire
à feu très doux pendant une demi-heure.
Dans un bain rouge sang, flottent maintenant ces éléments
ondulants rouge orangé et vert bouteille... Une palette aux
contrastes violents...
Dans ce jus épais, verser l’ail découpé
(au couteau) en fines lamelles, presque transparentes, et les épices,
rouge sang pour le piment doux (une cuillère) et rouge orangé
pour le piment fort (une pincée). Laisser réduire
à feu très doux.
Servir tiède. Ne pas hésiter à saucer son pain
(avec un coup de rouge, c’est un régal).
Les
poivrons à l’huile
C’est une préparation commune à tout le bassin
méditerranéen. Je l’ai retrouvée en Espagne,
en Italie, en Grèce, et bien sûr à Nice.
Ma recette diffère en ce qu’on y ajoute du citron.
Découper les poivrons en lamelles épaisses dans toute
leur longueur (c’est plus joli dans l’assiette et c’est
meilleur au goût, la taille des aliments n’y est pas
indifférente).
Les plonger dans une huile d’olive chaude, faire revenir un
peu. Rajouter l’ail. Faire cuire. Admirer dans la poêle
l’évolution de la plastique sensuelle des lamelles
de poivrons.
Quand les poivrons sont souples, ondulants, verser le jus d’un
citron. Remuer avec douceur pendant quelques secondes, le temps
que le citron se diffuse et imprègne les poivrons. Laisser
refroidir.
La préparation semble se gélifier. C’est bon
signe.
Et bien sûr, les salades cuites doivent êtres mangés
tièdes !
La
salade d’orange
Un cocktail a priori étonnant d’épices, d’ail
et d’huile, d’olives noires et de morceaux d’oranges.
Eplucher l’orange en enlevant la peau extérieure, la
découper en petits morceaux, mettre un peu d’ail, de
piment rouge doux, une dizaine d’olives noires (à la
Grecque), une cuillerée de macis (poivrons rouges séchés
vendus en petites lamelles), du sel et une cuillerée d’huile.
Malaxer le tout avec la main. Déguster à la fourchette.
Ne pas craindre d’y saucer son pain. C’est délicieux
et d’un goût inhabituel. Le craquant et l’humide
de l’orange se mariant parfaitement avec la suavité
d’une huile chargée d’épices.
|