Paradis terrestre ? En tous cas, un d'entre
eux, car il en existe beaucoup dans le monde.
La Terre est si belle pour nos yeux d'humains. Chaque coucher
de soleil est un spectacle grandiose pour qui prend le temps
de voir les couleurs s'estomper, se répondre, se diluer
dans les roses pâle, les oranges et les rouges.
En Toscane, l'air est serein. Tout invite à la douceur,
au calme, à la beauté tranquille, non agressive.
Même les couleurs les plus vives, les verts surtout,
mais aussi les jaunes d'or et le rouge luisant des coquelicots,
s'harmonisent dans une douce sérénité.
Ici, la nature est ordonnée, elle a été humanisée
depuis des siècles. La main de l'homme est partout,
mais discrète, presque sans y toucher. Elle semble accompagner
la nature en la dirigeant gentiment, sans la brusquer, pour
en obtenir le meilleur.
Ici, les formes se répondent : les sombres cyprès
dressés, pointus, se détachent des touffes rondes
d'arbustes aux verts tendres. Les champs de vigne se chevauchent à l'infini,
montant à l'assaut de douces collines. Alignements parfaits
de ceps, quadrilatères aérés noirs, jaunes,
verts. Tout est ici pensé pour être agréable
au regard et en même temps être utile à Bacchus.
Car c'est avant tout sa terre. On dit que le vin est né ici,
avant de voyager dans le monde, de s'imposer comme le nectar
des Dieux, le dit vin.
La terre du Chianti est riche et généreuse, les
petites routes qui la parcourent nous transportent comme sur
un tapis volant. Sur la 222 notamment, on n'est plus en voiture
sur de l'asphalte mais dans un long travelling de cinéma,
de Cecil B. de Mille ou de Wim Wender. Ça tourne et ça
monte, les perspectives changent, mais restent toujours agréables à l'oeil
et à l'esprit. On se sent
léger, le cœur chantant, comme si l'ivresse était déjà là.
La beauté des paysages, de ces pays sages, nous enivre avant d'avoir
bu.
Le vin ici est comme la terre : rouge profond, généreux,
savoureux. Il nourrit avant de saouler.
Lui aussi est mesuré, sa classe n'appelle pas à l'excès,
il est bon pour l'homme. Distingué mais sans ostentation.
Le luxe, c'est vulgaire ! semble-t-il nous dire avec raison.
Il est la juste mesure, le Pan Metron des Grecs.
Il nous parle d'un monde possible où tout trouve sa
place dans une harmonie négociée avec la nature,
pas imposée par la vénalité ou le goût
du pouvoir. Il n'y a pas de pauvres ici, tous les hommes semblent
concourir à la même vision de la beauté et
de la douceur de vie. Souriants, accueillants, ils travaillent
tranquillement, sérieusement.
Il n'y a pas de bruits ici et les insectes ont tant à faire
et tellement à butiner les innombrables fleurs des massifs
qu'ils nous laissent tranquilles. Les biches n'ont pas peur,
une toute jeune, toute élancée,
apparue dans nos phares, a traversé tranquillement la
route. Pas inquiète, elle nous a lancé de ses
longs cils un gentil regard puis a continué son chemin
comme si depuis longtemps, elle se savait en paix avec les
hommes.
L'air sent le jasmin, la rose, le romarin. Comme les saveurs,
les odeurs sont multiples, mais toujours harmonieuses, justes,
sans exagérations. Les soupes sont copieuses et
simples, paysannes. La charcuterie est savoureuse, on la sert
très fine, presque transparente,
le goût en est d'autant sublimé. Les légumes
retrouvent le goût de notre enfance. Du pain braisé arrosé d'huile
d'olive couvert de petits cubes de tomate fraiche et d'une
pointe de basilic est un régal qui dépasse les
mets les plus raffinés. Même les œufs ont
ici un autre goût.
Ici pas de supermarchés, mais des marchés aux
mille senteurs, aux centaines de couleurs. Les étals
sont des tableaux, on est dans la Renaissance
Italienne, celle de Michel Ange, qui parle du Chianti comme
d'un paradis, de Botticelli, de Léonard,
de tous ces peintres épris de beauté humaine,
de paysages reposants.
Ici, il n'y a pas d'architecture, ou plutôt, un Art-chitecture, à taille
humaine, convivial, adapté aux désirs raffinés,
philosophiques, poétiques. Quelques tours sont néanmoins
là pour
manifester qu'il y a de l'Homme, avec sa volonté de
s'élever, de braver les Dieux, mais les tours ici sont
carrées et cossues. Elles dépassent de peu les
maisons dorées en pierres épaisses, faites pour
durer, pour se transmettre sans provoquer les paysages. Des
"nids d'homme", comme dirait Vincent van Gogh.
Ici, on est pour l'essentiel plongé dans un univers
façonné entre
le XIVe et le XVIe siècle, celui de l'âge d'or
de la peinture. Notre vision de la beauté du monde vient
de ce que nous ont transmis les regards de ces peintres. On
les sent encore là à nous chuchoter de prendre
le temps d'admirer ce qui s'offre au regard, d'en nourrir notre âme
pour contrebalancer les aigreurs de notre condition, nos difficultés
d'être, notre civilisation du malaise.
La région du Chianti est une leçon de vie, une éthique.
Elle nous aide imperceptiblement mais profondément à retrouver
le sens des choses, celui de notre vie.