Renée Amiel, née Lévy-Provençal
Une enfance à Rabat
Je suis née au Mellah de Rabat, à la rue Derb di Zouz. Nous vivions dans la maison de ma grand-mère au rez-de-chaussée puis au premier quand mon père a fait construire un étage. Pauvres et riches habitaient le Mellah qui n'était peuplé alors que de juifs. Je n'ai pas dû sortir du Mellah avant mes quinze ans. Comme j'étais la cinquième enfant (3 filles, 1 garçon avant moi), on ne s'intéressait pas trop à moi. La vie d'une jeune fille à cette époque était plutôt difficile. Mon enfance a été plutôt ennuyeuse. Quand je rentrais au salon, je baisais les mains de mes parents et m'asseyais à l'endroit qu'ils m'indiquaient. Tous les samedis, on allait à la synagogue Rabbi Mousse Benoualid.
J'ai fait mes études primaires à l'Ecole de l'Alliance où on parlait l'arabe, l'hébreu et le français. J'ai d'abord appris l'hébreu, puis le français. L'école était stricte, ordonnée, on travaillait dur huit heures par jour. Les enseignants étaient très estimés, considérés. Ma sœur Allegria qui avait fait de plus longues études, s'est occupée de moi, m'apprenant a lire, à écrire. Elle a été très affectueuse avec moi.
Mon père travaillait à la Société Marseillaise de Crédit jusqu'en 1943 où les autorités de Vichy ont renvoyé tous les Juifs de l'administration. Il a dû créer un commerce d'épicerie avec un ami, mais ils ne se sont pas entendus et se sont vite séparés. Il a alors ouvert une grande droguerie, la Droguerie du Rharb, rue Oukassa où il vendait des peintures, des seaux, des papiers peints, etc. Mon père était un bel homme. À la porte de la synagogue, les femmes l'entouraient et venaient lui baiser la main.
À l'époque, beaucoup de Juifs marocains se rendaient au Brésil (boom du caoutchouc)* comme mon oncle, le frère de ma mère, qui y avait déjà vécu (il avait un drapeau brésilien chez lui). Revenu à Rabat, il n'a plus voulu y rester. Il est reparti pour finalement s'installer à New York.
Après l'école de l'Alliance, à 11 ans, j'ai suivi des études de couture, apprenant le surfilage, à faire les ourlets, etc. J'avais un petit salaire qui m'a permis de pouvoir payer des cours de sténo dactylo au lycée Gouraud (le lycée français).
Mon premier emploi en couture a été chez Madame Pereira dans sa boutique "Doigts de Fée" située à l'Immeuble Barboza (quartier Capitaine Petitjean).
En plus des cours du lycée, j'apprenais le soir à la maison à taper à la machine. J'ai passé l'examen et quand j'ai obtenu mon diplôme, j'ai été embauchée à la Caisse Marocaine des Retraites. Mon amie Germaine Sisso m'avait poussé à y aller, et grâce à elle, à 17 ans, je suis rentrée dans cette administration où j'ai travaillé de nombreuses années.
J'ai connu mon mari le soir du mariage de Maurice Amar grâce à ma sœur Stella qui m'a amenée avec elle.
Il m'a invité à danser. Je ne l'avais jamais vu. Comme il n'y avait que des tangos et des slows, il me serrait fort contre lui. On a dansé des tangos magnifiques et passé la soirée enlacés. Le lendemain, il est venu me chercher à la sortie de mon travail.
Il travaillait à l'époque aux Éditions Laporte, de l'autre côté de l'avenue Mohamed V, en face des jardins. Il était beau garçon, galant, poli, bien élevé. On s'est mariés dans la cour de la maison où il habitait avec ses parents au 32 rue Capitaine Petitjean.
Mariage André et Renée au 32 rue Captaine Petitjean
J'ai attendu deux ans avant d'être enceinte, il y avait une importante pression sociale et familiale sur moi. La famille attendait un garçon.
En pèlerinage à Ouezzane**, j'ai prié le saint pour être enceinte, je touchais sa tombe puis mon ventre. J'embrassais la tombe et je pleurais, la main sur le ventre.
Au retour, quand j'ai appris que j'étais enfin enceinte, on a décidé d'appeler mon fils d'après le Saint : Amrane. Son prénom français Yvon venait d'un écrivain célèbre a cette époque. J'ai ensuite eu une fille, Michèle.
Portrait de Renée Amiel par le grand peintre Pontoy, ami de son mari
Mon mari dirigeait la librairie des Belles Images. Il avait un associé marocain et organisait de belles expositions de peinture au sous-sol du magasin.
J'ai travaillé à la caisse des retraites jusqu'en 1967. Mes beaux parents, partant pour Nice, nous avons repris leur librairie. J'ai quitté mon emploi pour apprendre le métier de libraire.
Librairie du Chellah
Mon mari me rejoignait tous les soirs et pendant cinq ans, j'ai tenu la librairie qui poursuivait sa tranquille ascension jusqu'en 1973, où on a décidé comme beaucoup de membres de la famille, de s'installer en France.
J'ai travaillé à la caisse des retraites jusqu'en 1967. Mes beaux parents, partant pour Nice, nous avons repris leur librairie. J'ai quitté mon emploi pour apprendre le métier de libraire. Mon mari me rejoignait tous les soirs et pendant cinq ans, j'ai tenu la librairie qui poursuivait sa tranquille ascension jusqu'en 1972, où on a décidé comme beaucoup de membres de la famille, de s'installer en France.
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L’interview que j’avais faite de ma belle-sœur Renée s’est arrêtée là, mais je peux rajouter que ses parents étaient Jacob Lévy Provençal et Dona Benisvy. Sa mère a passé une partie de son enfance au Brésil car son père David José Benisvy était parti s'installer à Belem où il est décédé en 1916. Sa femme Esther Benatar est revenue au Maroc avec Dona la mère de Renée.
Je peux raconter également qu'après leur retour du Maroc (où mon frère dirigeait la plus grande librairie de Rabat), ils ont vécu heureux à Nice où ils ont élevé leurs enfants Yvon et Michèle (devenus dentistes) et n’ont cessé d’être très actifs. À leur retraite, ils se sont installés à Cagnes sur Mer dans une résidence de standing située dans un parc arboré de plusieurs hectares où mon frère a pu reprendre ses activités autour du livre en gérant la bibliothèque du Club du Domaine du Loup ainsi que sa passion des cartes en jouant au bridge. Renée, elle, s’adonnait à plusieurs sports, profitant de la piscine et des activités offertes.
Depuis le décès de mon frère qu’elle a vécu douloureusement, elle a mené une vie tranquille tout en s’occupant de ses enfants et surtout petit-enfants qu’elle chérissait. Il y a quelques années, elle a dû quitter sa belle maison remplie de tableaux (la collection de mon frère libraire-galeriste) pour un sympathique Ehpad où le personnel s a pris soin d'elle jusqu’à ses derniers jours.
Notes :
* Le boom du caoutchouc a attiré beaucoup de Juifs marocains. La vie étant particulièrement difficile, beaucoup ont cherché fortune au Brésil d'autant que la Constitution brésilienne de 1824 reconnaissait la liberté de conscience (ce qui était loin d'être le cas dans beaucoup d'autres pays). La première synagogue a Belem a été édifiée en 1889 et une ligne maritime reliait Tanger ou Lisbonne à Belem, capitale de l'Etat du Para.
** La Hiloula de Ouezzane
Rabbi Amram Ben Diwan, né à Jérusalem, a fait ses études à Hébron. En 1743, choisi comme émissaire, il a pour mission d'aller au Maroc collecter de l'argent pour les Yéchivot d'Israël. Il s'installe à Ouezzane où il crée un Talmud-Torah, et une Yéchiva.
Grand enseignant de la Torah, il a de de nombreux disciples dans toutes les communautés. Dix ans plus tard, il retourne à Hebron, mais ayant prié dans le Caveau des Patriarche interdit aux Juifs, il est dénoncé et doit s'enfuir. Il revient au Maroc où il est très bien accueilli.
Kabbaliste, érudit, sage, on lui prête aussi de nombreux miracles. Ainsi le Rabbi Ménaché qui n'avait que des filles, grâce à sa bénédiction, a eu un garçon. À la famille Elbaz de Sefrou qui l'a accueilli, il promet que l'année suivante, un garçon naîtra et deviendra un grand érudit dans la Torah, ce qui se réalisa.
Il meurt en 1782 et sa tombe est devenu un lieu de pèlerinage important et de très nombreux miracles lui sont imputés (guérison des malades, aveugles qui retrouvent la vue, femmes stériles se retrouvent enceintes, etc.
Chaque année, en mai, à Lag Baomer, les fidèles prient, font des bénédictions, allument un grand feu sur la tombe du saint dans lequel ils jettent des cierges en formulant leurs vœux. Des festivités, des chants et des danses ont lieu pendant toute la durée du pèlerinage qui attire toujours de nombreux Juifs marocains dont certains arrivent des USA ou d'Israël.
Tombe du Saint Rabbi Amram Ben Diwan à Ouezzane
En famille
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