b



Accueil Profil Livres Articles Sites Cuisine Voyages Contact Actualité

Les Papesses à Avignon
août 2013

Si au Palais des Papes, nous recevons de plein fouet les créations violentes de ces cinq papesses, c'est à la collection Lambert, dès l'entrée, que le ton est donné... Une grande photo de l'entrée de l'asile de Montfavet à Montevergue nous propose d'y pénétrer pour découvrir ces femmes qu'on a délibérément placés sous le signe de l'asile. Un peu exagéré quand même...

ff jj mll

Ces cinq femmes semblent plutôt avoir fait tout ce qu'elles pouvaient, c'est à dire de l'art, pour justement échapper à la folie (Louise le dit d'ailleurs dans le film de Brigitte Cornand).
À part Camille qui a vraiment été à l'asile et y a passé plus de trente ans, aucune des quatre autres n'y a fait de séjour. Et encore, Camille, c'est à son corps défendant. Si elle n'avait pas eu cette mère haineuse, elle n'aurait pas dû y rester... Son amant Rodin l'a laissée tomber et son soit disant chrétien de frère, celui du Soulier de satin qui a reçu la révélation divine, ce grand intellectuel écrivain et ambassadeur de France, a laissé mourir sa géniale sœur qui l'aimait tant. Sa mère a payé le moins cher possible la pension et Camille est quasiment morte de faim en 1943. Personne n'est là pour ses obsèques. Elle est enterrée dans une fosse commune. Voilà comment une famille bourgeoise bien pensante a maltraité un génie, une femme sculpteur qui nous a laissé une œuvre des plus sensibles. Ses implorantes à genoux sont toujours bouleversantes d'humanité et de souffrance.

hlk

Les quatre autres ont fait comme tout le monde ce qu'elles ont pu pour ne pas tomber dans la folie.
Louise, on le sait, était folle de sa mère (elle tenté de se suicider à sa mort). Elle détestait son père et, à travers lui, le pouvoir des hommes. Son travail, très sexualisé, montre des phallus, des boudins enroulés, des araignées géantes, une référence à son univers de l'enfance, de fils, de broderies, de bobines, qu'elle a vécu chez ses parents tapissiers.
Morte à 99 ans, elle a laissé une œuvre multiforme, extravagante, des dessins faits dans son lit aux installations monumentales d'immenses araignées en métal, elle dérange encore.

Berlinde a des problèmes avec son corps ou surtout celui des autres : incomplet, monstrueux, des chairs meurtries, déformées, qu'on tente de réparer avec les moyens du bord : des cautèles, des tissus défraîchis vaguement enroulés autour de plaies supposés. Elle travaille avec des troncs d'arbre, des tissus, de la cire, de la résine en leur donnant l'apparence de chairs en souffrance.
Même si ses parents étaient bouchers, cela ne suffit pas à expliquer cette obsession pour la déformation des corps. Son monstrueux cheval sans tête, pendu dit aussi l'horreur de notre traitement des animaux.

Jana, elle, soumet le corps des femmes au froid, au feu, elle leur rajoute des poils sur la poitrine, elle les sculpte en verre, en céramique. Elle joue avec les cheveux, la transpiration, la viande, le chocolat, le pain. Elle explore des univers enfantins, celui des contes de fées comme la Princesse au petit pois, celui de pain d'épice ou de la pomme d'or. Elle travaille sur le corps et l'identité, mène un combat contre l'aliénation des femmes, leur oppression... Pour les femmes engoncées dans des corsets, elle crée des crinolines à roulettes. C'est elle qui a créé la première robe en viande.

kgj

Kiki semble la plus joyeuse des quatre, elle se dessine et se peint avec de l'argent, de l'or, se met en scène dans des tapisseries de type médiévale, s'entoure d'étoiles, d'oiseaux, d'un loup énigmatique, ou se représente en sorcière sur le bucher avant qu'on ait mis le feu, un beau bronze face à une magnifique verrière à arcades trilobées. Son coup de génie c'est d'avoir organisé à N'Y une procession pour l'art avec elle à la place de la vierge, la roue de Duchamp et une figure de Giacometti comme icônes portatives.

On ne sait pas grand chose de la papesse Jeanne, probablement une légende, mais ces papesses là semblent plutôt des femmes sans pouvoir, dépassées par la dureté du monde et qui ont trouvé dans l'art le moyen extrême de conjurer leur folie, la folie inhérente à l'être humain, à sa perversion d'être parlant et aux névroses familiales.

 

****

retour index