LE FRÈRE DE PETER PAN et d'ALICE

Il est resté dans les bras de l'enfance et à son sourire nous sommes accrochés comme à la branche la plus tendre. On s'était "habitué" à se faire servir le thé dans une cérémonie-performance, à se faire nouer ses lacets, à grincer avec des sons de l'autre monde, à grimper sur l'improbable. On était suspendu à ses facéties et à des promesses toutes aussi Fluxus les unes que les autres. Il tenait toujours ses promesses. On se demandait ce qu'il allait nous demander et on attendait de voir, d'assister au spectacle de cette énergie irradiante, du cadeau de sa force jusqu'à l'assèchement. Derrière son sourire sous la sueur et la pâleur, il préparait une farce à laquelle notre complicité allait s'acoquiner. Sa soif d'amis artistes et poètes, soif des autres, des amis des artistes et des poètes in(dés)altérable fait de nous une onde de choc rassemblée. Qui ne l'a pas vu sauter de l'un à l'autre sans jamais s'épuiser. Nous étions tous des pions qu'il faisait avancer avec lui. En sourdine. Disons que de ses gouffres, de ses fissures, de ses sutures et de ses fractures, de ses déchirements et de ses colmatages encore, il a fait un jeu de piste dans lequel chacun avec lui relevait un défi. Des échecs il puisait l'arme de construction massive. Quand il tombe, il joue encore. Dans la mémoire il se dresse. Le fragile géant. Le gentil blouson noir sur son cheval fou. Un personnage. Qui conjugue tomber avec se relever. Dans une bande qui dessine de vastes routes. Fourmilières. Voilà enfin comment il a encore déjoué les frontières. Dans l'éternité. Je l'ai vu en rêve une fois. Sur une plage. Il souriait et montrait ses trésors. Le masque blanc de son visage s'effaçait sous le soleil du sourire. Des laisses de mer sur les galets. A gogo. Regarde, disait-il. L'oeil riait. Je ne savais pas où regarder. Il y avait tant. De quoi faire. De quoi se perdre. Dans l'atelier-monde.

Sophie Braganti

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LE  LUTIN  (EN APNEE  D’ETERNITE)

Il jouait avec les signes. Propulsé à huit ans dans la bibliothèque d’un grand-père à la majesté de culture étincelante, il ouvre son œil rieur et découvre des signes, chinois, russes, sanskrits, arabes – tout y est, le monde s’ouvre, se fracture (bibliothèques fractales) en bandes de signes, qui n’ont pas de sens, pas encore, jamais peut-être, tant de langues pour dire l’amour et la guerre, la paix et l’ennui, la création et sa fête, le malheur de ne pas comprendre et la joie d’aimer, sans limites, la joie d’aimer cette danse, cette explosion, ce délire à saisir le monde et la vie..
C’est décidé, il n’en sait rien encore, c’est dedans que ça se goupille, ces accords-là, d’une musique secrète – c’est décidé, dans son âme, il sera faiseur de signes - (Rilke ne dit-il pas « poètes ? faiseurs de signes, rien de plus ») -, oui, faiseur de signes, rien de moins, sérieux dans ses facéties, amusé face aux drames des difficultés à gravir, multiple acrobate, danseur d’enfouissement, de grottes, de nuit et de mer aux vagues roulant des livres, fêteur de jeux, jongleur de lumières.

Tu es parti trop tôt, mien ami, bien trop tôt – mais tu aimais être devant, pionnier, chercheur, révélateur de pistes, éclaireur – éclaireur pour des fêtes d’ailleurs, des parties d’échecs à bâtir, des royaumes à ouvrir, des accomplissement à parfaire.
On m’aurait dit que les pages que je prévoyais pour ton livre, ce printemps, je les écrirais à l’imparfait, tu vois – parce que tu vois, c’est sûr, de ton regard clair, que tu nous manques – j’aurais pensé « c’est quoi cette farce… », certes, la dernière que tu nous fais, terrible comme l’Ange est terrible dit le Poète.
Mais tu ris, encore, déjà, toujours, pris par la Vie majuscule qui continue, bien sûr. Mais tu es tellement absent, pour nous, ici, soudain. Merci d’avoir été mon ami, mon complice, et d’être pour toujours notre lutin en apnée d’éternité.

Olympia Alberti

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Pour Bruno Mendonça (intervention du 4 février 2012)

L’artiste Philippe Boutibonnes a récemment consacré un livre à son amie artiste disparue, Eve Gramatzky.
Avec son autorisation, je vais en lire un extrait que j’ai adapté pour Bruno.

Pierre Le Pillouër


Nous appartenions infailliblement à une même histoire, à une même fratrie fondée sur l’inquiétude, sur les tourments et les déceptions partagés.
… A l’attachement pour l’ami en allé, s’ajoutent la reconnaissance et le devoir (paroles et pensées) dont nous sommes débiteurs à l’égard des morts, à l’égard de ceux qui nous ont quittés, nous abandonnant pauvrement vivants et inapaisés, coupables – oui, coupables – de n’avoir pas su les convaincre de continuer à vivre ; de n’avoir su ni les retenir ni les accompagner ou les suivre. Vivants encore, nous sommes toujours ici dans le même présent appauvri qu’ils ont déserté ; eux n’y sont plus, ils demeurent- et pour toujours encore - dans un territoire lointain, inactuel, sans lieux, sans dates, sans limites, sans marges et sans repères, où rienrien, ce qui excède la seule privation, rien ne peut advenir. Comment rapprocher les mondes inconciliables et irréconciliables des vivants et des morts ? Comment se faire entendre des défunts, eux qui ne parlent plus notre langue et nous qui n’avons pas encore appris la leur ? C’est à Bruno pourtant que je voudrais une fois encore – et peut-être une dernière fois – m’adresser pour lui dire ce que je n’avais pas su formuler dans notre langue commune, désormais et à jamais morte pour lui. Mais les mots étrangement se dérobent. Je ne peux que ressasser ce que lui savait déjà pour l’avoir entendu et que je répète maladroitement comme si l’itération n’avait pour seule fonction que de conjurer ce qui n’a lieu qu’une seule fois et une fois pour toutes.

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Archiviste de l’improbable

Archéologue d’un futur qui a toujours existé, Bruno Mendonça avance de découvertes en découvertes et ce n’est pas son moindre mérite à mes yeux d’avoir mis à jour, croquis à l’appui, tant de bibliothèques invraissemblables, véritables silos à livres enfouis dans des cratères de volcans en sommeil, des glaciers inexpugnables, ou bien veines géosophiques aménagées dans des anfractuosités de rivages tourmentés par les vagues. Toutes semblent avoir pour fonction dernière de détruire les livres qu’elles devraient conserver.
L’absurde est à ses ordres. Il l’opacifie jusqu’au paroxisme et en fait une couleur-matière conceptuelle dont il joue dans ses performances, nous présentant des sortes de cérémonies ou coutumes fantasques dont le sens se serait irrémédiablement perdu.
Mais cet archiviste de l’improbable est également l’inventeur d’alphabets inouïs, défiant toutes les sciences connues du haut de leurs idéogrammes muets, ainsi qu’un découvreur de littératures à jamais indéchiffrées, n’ayant que leur énigme à offrir aux regards avides des questionneurs.
Textes “non-textes”, presque arrogants, comme s’ils avaient été rédigés dans l’unique but de décevoir notre inextinguible faim de signification, ou bien textes-témoins, transcrits sur d’étranges supports, livres et objets, appartenant à des mondes naufragés depuis toujours sur les grèves du réel, Bruno Mendonça insuffle à ces oeuvres, patiemment élaborées, la puissance évocatrice des archétypes.

Gilbert Casula
Cannes, octobre 2007

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BRUNO PERFORMANCE ARBORISATION
(galerie Depardieu 2010 )

Sous les coups du marteau plie la forme,
presque au bord d'épouser son double.

Le corps enveloppé de son poids d'extérieur
cherche à devenir le calque du vide.

Le corps de plomb se transforme en momie,
en quoi se fait-elle aussi métaphore ?

Le squelette, debout dans sa peau, se retrouve
espace, air, son, forme, lumière définitive.

C'est presque recommencer le cours de la création
dans le monde incessant, et non la dispersion.

Le temps s’accorde à cette forme nouvelle
pour se voir en sculpture vivante.

Et vouloir se glisser dans une peau épaisse
comme une écorce qui protège…

Mais les coups du sort frappent même en dedans,
où l'enveloppe illusionne.

La chaîne des regards préserve du regard intime
autant que la doublure métallique.

C'est ainsi, basculer dans l'art du proche
souvenir, tout au bout de la métamorphose,

et ancré dans la douceur du sarcophage, plus vivant
d'avoir touché là, comme à une limite possible.


J’ai écrit ce texte pour Bruno, après sa performance Intitulée « Arborisation », à la galerie Depardieu, en 2010.
Bruno exprimait dans cette performance, non seulement la souffrance du corps, mais aussi la fin de celui-ci, à travers une alternance de dénis et d’acceptations métaphoriques, que j’ai tenté d’évoquer ici.

Claude Haza

À Bruno, mon ami

La mort a gagné le corps
de celui qui fut mon ami.
Elle l'a cueilli au bas de sa chute
aussitôt l'a emporté vers les cimes tranquilles.

Voilà une amitié achevée ici.
Mais depuis là-bas,
tu me diras si la nuit est noire
si les visages existent encore
après avoir quitté la surface de la terre.
Tu me feras signe
avec un dessin miniature.
Je te dirai combien nous sommes tristes
sans ta voix qui décrivait
des projets de bibliothèques dans les étoiles,
avec tous les personnages
que tu portais en suffoquant
dans ta combinaison d'un autre âge.
Sont-ils encore au fond de tes yeux
ou sont-ils devenus tes partenaires
sur l'échiquier du monde à l'envers ?

Allez ! Nous devons nous quitter, bien sûr !
Mais avant, je t'entends évoquer encore
une autre raison d'être présent là-bas :
présent comme tu l'as toujours été ici,
pour faire bouger - même le diable, s'il le fallait.

Claude Haza
05/11/2011

 

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(Pendant l’été 2010, Bruno et moi avons réalisé en commun dans mon atelier un livre d’artiste “ Numérus Clausus“ que nous avons présenté au Festival du Livre de Mouans Sartoux en octobre et ensuite chez Laure Matarasso.)
Ma courte intervention a commencé par la lecture de trois des poèmes du livre intitulés - En rire – Athènes – Numérus Clausus – que voici :


En rire(s)

La part en thèse, semble l’énigme
Du rire.
La bouche étant la porte émaillée Du sur
Rire, sourire, sur prise 220.
La flexibilité musculaire
Est associée à la dynamique
Vers balles, magnum ; associations, métamorphoses
Du verbe premier.
Est-ce la langue qui soulève

Le Palais ?
Ou le manque d’oxygène
Qui accentue l’entrebâillement des lèvres.
Pour fendre le rire, un coin bien affûté
Est ajusté.
Une légère touche du doigt sur l’acier
Déclanche la hanche du sonore
Envahissant nos oreilles internes d’un écho sans retour
Le rire est une molécule
Qu’on primait jadis.
Aujourd’hui le rire est peau lué. Il est entré par
Hantise et sort par convulsions
Chronométrées.


Athènes

Athènes, une équipe d’archéologues délimites des ZONES de fouilles.
Marteaux, pioches, brosses, balais entament leur musique de quatuor. Pizzicato, andante, moderato, con brillo.
Les recherches se font sous d’immenses serres, pour se protéger du soleil.
Au lointain, la ville moderne développe son magma sonore et olfactif. Couches élastiques, souples envahissantes, progressivement grignotent
L’ensemble de la cité Vu d’hélicoptère, des plans de masse apparaissent. Dans des quartiers qui deviennent signes, de couleurs, visuels, sonores.
Le quadrillage observé à travers certains endroits pollués s’estompe
Pour devenir moins rectiligne, moins Mondrian; plus ton criant.
A l’héliport les sonorités sont semblables à un vol de bourdons
Démesurément amplifiées.
Les annonces aux haut-parleurs en plusieurs langues
Renforcent l’impression de traverser un ESPACE-TEMPS.
Mythologie Contemporaine accouplée avec d’anciennes légendes.
Le décollage d’une affiche sur un mur, coïncide avec celui d’avion pour NY. On aperçoit l’affiche vibrer au vent, dans le décollage de l’oiseau bleu acier.


Numerus Clausus

Immolation partant de l’estomac, alimentée par les sucs digestifs
Qui se déversent dans un un sang dit, fumeroles s’échappant
De l’entre bras, comme si la tension du corps nucléaire était exposée
En flammèches, en retours de flamme, le corps est en méditation.

L’absolue dissolution de l’épiderme en camaïeu de bleus zébrés
De cumulo nimbus, de nuages diaphanes, de serpentins de peaux
Noyées dans la braise, dans le rougeoiement de la prima materia.
Tout se métabolise, se dissout, les molécules de gaz et de flammes

Délimitent un tourbillon d’altocumulus, répondant aux rifts
Des cirrocumulus, scindant la tête dans des clairs obscurs. Le souffle
Des nains beaux, statues, de gènes, d’ADN en spirale, déplacent
Les confusions, numerus clausus des médiators assermentés.

La numérologie des particules d’eau accumulées les unes aux autres
Dans les profondeurs du regard éteint l’un sans dit intérieur.
Le visage sur un souffle impétueux, se redresse. L’ocre passe par le vermillon
Pour manger la peau, pixels par phonèmes pour se réfugier dans un nuraghi. »



Puis, j’ai poursuivi en remerciant Bruno : « J’ai eu grand plaisir à collaborer avec Bruno à la réalisation de ce livre d’artiste.
Pendant tout ce temps de travail j’ai senti encore plus ses vraies qualité avec l’imaginaire qu’on lui connaît, mais aussi son caractère réceptif , ouvert, disponible, jamais économe en amitié.
Sa hauteur de vision du monde et son humour font qu’il est un artiste et un ami qui restera présent parmi nous. Bravo Bruno »

Henri Baviéra

Sophie Braganti

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