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Manet au Palais des Doges
juillet 2013

Manet n'a pas cherché à vendre (famille riche), ni à plaire. L'acte de peindre a été pour lui sa façon d'être dans le monde. Très tôt, il a voulu peindre et n'a fait que cela dans sa vie. Il lui a fallu beaucoup de temps pour plaire, justement parce qu'il s'en fichait. Il présentait néanmoins ses tableaux aux grandes expositions où il était critiqué et moqué.
Sa liberté transparaissait dans ses œuvres : liberté de la forme, de la technique, il n'a voulu s'associer à aucun courant, même à celui des Impressionnistes qui étaient ses amis.  Aucun carcan, il a suivi ses intuitions, ses désirs.
Liberté de sujet ou traitement très décalé de sujets classiques : son Christ entouré de soldats moqueurs, dépenaillés (on dirait plutôt des brigands, pas des soldats romains).
Et lui, le regard perdu au delà. Il ne les regarde pas, semble les considérer dans sa célèbre formule : "Pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu'ils font" ou "quel monde !". Une telle image d'un Christ désespéré par l'humanité ne pouvait être acceptée par la bienpensance de l'époque.

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Pas plus que ces deux couples pique niquant au bord de l'eau avec une femme nue au premier plan. Non, elle n'a pas honte de sa nudité. Non, les hommes ne semblent pas étonnés qu'elle soit nue alors qu'eux sont tout habillés. La femme à l'arrière plan qui se batifole dans l'eau explique peut être pourquoi sa copine est à poil. Elle fait simplement sécher ses vêtements au soleil. elle regarde le peintre, cinquième personnage du tableau et nous regarde, amusée. Les personnages sont trop décontractés, trop modernes, trop délivrés des convenances. C'est inacceptable. Comme tous ses autres tableaux qui sont trop ceci où pas assez cela...

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Manet s'en fiche. Il les regarde de son balcon. Il a quelque chose de désabusé en observant le monde, le considère pour ce qu'il est : hypocrite, couard, conservateur... Manet est du côté des révolutionnaires, des anarchistes (il s'en réclame et s'est même engagé). Il ne supporte plus cette bourgeoisie étriquée, il est déjà ailleurs.
L'Espagne l'attire un moment, pourquoi ? Ses danseuses aux robes chamarrées (on est loin de Degas). Elles ne sont pas filiformes, ni asexuées. Elles sont justes vraies.
Et Berthe Morisot, sa sœur en art, la seule femme artiste de l'époque. C'est aussi sa belle sœur, une amie, une muse, un mentor. Elle le fascine, il peint de nombreuses fois, son regard profond, un peu mélancolique. Il paraît qu'elle avait des yeux vers, mais Manet les peint toujours très noirs. Elle non plus n'a pas peur, il fallait sacrément du tempérament pour s'imposer dans ce milieu d'hommes, pour se faire reconnaître, acceptée et même fêtée.
Ce qui frappe chez Manet, ce sont tous ces regards adressés frontalement au peintre et par conséquent aux regardeurs, comme son Olympia, elle aussi nue, mais pas sans défense, au contraire, on la sent dominatrice, son regard peut nous inquiéter. Il n'est pas une invite comme dans l'original de Titien, la chair vibrante, chaude de la Venus du Titien est un appel, dit une attente. Chez Manet au contraire, son regard nous met à distance.
Le chat noir énervé qui nous regarde aussi, lui, carrément hostile, n'est pas là pour nous rassurer. Sa serveuse noire lui apporte un beau bouquet de fleurs blanches dont elle semble n'avoir que faire. Cette putain n'a pas peur du peintre, elle le regarde avec défi, avec un "que veux-tu ?", en même temps qu'un  "fais gaffe! "
En contrepoint de ces femmes puissantes, il y a sa femme, une douce pianiste, blonde, posée, calme. Il y a une histoire à son propos. Engagée pour donner des leçons de piano au jeune Edouard, elle aurait été la maîtresse de son père avant d'être la sienne, puis sa femme. Elle a eu un fils "naturel" qui a été adopté par le couple qui s'est marié après la mort du père... Le "fils" adoptif de Manet est en fait son demi-frère... Un peu compliqué, mais pas rare... Encore un élément qui pourrait expliquer sa liberté... Les notions de fils et frère un peu floutés. S'il n'a pas été reconnu la critique, Manet a eu de nombreux amis et pas des moindres, la crème des intellectuels de son temps : ses meilleurs amis : Mallarmé, Zola, Baudelaire... Les ennemis comptent si peu dans ce cas...
Manet, par sa liberté picturale et ses modes de représentation, a rendu possible les mouvements qui vont révolutionner la peinture : l'Impressionnisme, bien sûr, mais, au delà,  toute la figuration moderne.

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