Visite au MAMO

Vus de près, les pilotis de béton soutenant la Cité Radieuse ne donnent pas l'impression d'être suffisamment nombreux pour soutenir cette imposante structure. Pourtant, en la regardant attentivement, on voit bien que tout a été pensé minutieusement. Une cohérence absolue se dégage entre l'architecture et la recherche d'une esthétique alliée à une éthique bien en avance sur son temps.
Le hall est animé, des gens entrent et sortent. Des plaques sur un mur indiquent les professions, les architectes sont en majorité, pas étonnant.
Bernard Vincent arrive. On le suit. Nous prenons l'ascenseur, direction le dernier étage. À l'arrivée, bain de lumière : la terrasse est blanche, le ciel très bleu et la mer étincelante, une vision à 360° sur la Méditerranée et Marseille. Nous entrons. Un couloir gris longeant la librairie s'ouvre sur un grand espace au plafond arrondi, aux belles ouvertures en demi cercle. C'est l'ancien gymnase, dessiné par Le Corbusier.

Il avait pensé à tout. Ce n'était pas un immeuble qu'il construisait, mais une "unité d'habitation", un lieu idéal où les habitants auraient là tout ce qu'il faut pour vivre : des commerces, une garderie, une laverie, une bibliothèque, et bien sûr un gymnase et un solarium. Un exemple qui n'a pas été suivi (il en existe une dizaine dans le monde, tout au plus). Cette utopie n'a pas été réalisée, l'homme est trop foutraque pour qu'on organise son bien-être.

L'immeuble est resté un chef d'œuvre visité par tous les étudiants en architecture du monde, une référence universelle, une œuvre d'art.
Rien d'étonnant alors qu'un des designers les plus imaginatifs de notre époque s'empare de cette terrasse, dûment achetée, avec le projet d'y édifier un Centre d'Art. Malgré les contraintes (on est dans un bâtiment très protégé), Ora Ito (en sioux "qui construit l’imaginaire"), avec l'aide de l'architecte des Bâtiments de France et des habitants de l'immeuble, a rendu à ce superbe espace son allure d'origine, sa vérité, pour l'ouvrir au meilleur de l'art contemporain, de l'art tout court.
Ce designer-agitateur qui a jusque là exercé son art dans le packaging, l’architecture d’intérieur, le mobilier, etc., résume dans le terme "simplexité" son style au design lissé, élégant, futuriste, humoristique, un mélange de simplicité et d'épure résultant d’un travail complexe. La simplicité comme forme extrême de la sophistication.
En créant le MAMO (de MArseille MOdulor, ou de MArseille Main Ouverte, ou référence ironique au MOMA de New York), Ito franchit un nouveau pas. Il a vendu sa collection d'art contemporain pour financer l'achat de cette terrasse - toutes ses œuvres contre une seule ! Mais une grande, une pérenne, une qui en contiendra d'autres, beaucoup d'autres dont la qualité première sera d'être en vibration avec ce lieu, de rai(é)sonner avec lui. La seconde est un vrai défi : inventer de nouveaux regards sur le monde (à défaut de pouvoir le changer).

Pour son exposition inaugurale, Ito a fait appel à Xavier Veilhan qui nous présente “Architectones”, une série d’installations en hommage au Corbusier : des faisceaux de fils blancs définissant dans le ciel un plan virtuel entre les verticales et les horizontales de la terrasse, un buste de Le Corbusier où l’architecte dessine à même le sol du bâtiment, un mobile suspendu dans le gymnase, des arbres plantés dans des jardinières, etc.



Le lendemain de l’inauguration de l’exposition a été présentée la première mondiale de son nouveau spectacle en collaboration avec la compositrice Eliane Radigue.
Systema Occam fait référence à la théorie du "rasoir d'Occam", qui part du principe que les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables,
Le spectacle débute par quelques scènes sensibles offertes par des danseurs : lumière autoproduite par un rameur, sablier décrivant un cercle au bout d'un fil, pas de danse, lutteurs, etc., des images dépouillées destinées à nous préparer mentalement pour la seconde partie.
Le virtuose anglais Rhodri Davies s'installe ensuite dans un profond silence pour nous  interpréter une pièce de Eliane Radigue, relevant le défi de jouer une musique née d'appareils électroniques, avec son instrument, la harpe.
À l'aide de deux archets, il crée des harmoniques lancinantes qui naissent imperceptiblement les unes des autres, chacune s'imposant lentement, emplissant l'espace sonore le temps qu'un nouveau drone (bourdon) lui succède. Dans ces univers mouvants qui promènent notre imaginaire, le silence joue un rôle particulier.
Le son perdure encore doucement dans nos oreilles alors qu'il a déjà disparu. Un fantôme de son, une persistance auditive, une aura qui dure jusqu'à ce qu'une nouvelle note arrive pour reconquérir l'espace sonore avant de l'abandonner à nouveau au silence, des instants où on ne sait plus si c'est l'artiste qui joue ou s'il nous laisse entendre les sons du dehors.
Pendant que le harpiste nous hypnotisait par ses vibrations auditives sensuelles, l'orage éclatait. Derrière les fenêtres en demi-lunes du gymnase, les éclairs accompagnaient certaines notes en contrepoint ou en les ponctuant, comme s'il existait une complicité secrète de la musique et les foudres célestes.
La fin est suspendue... Très longtemps après qu'il ait joué sa dernière note, Davies laisse à chacun de décider le moment de la fin du concert. Magique.

On devine que ce lieu va vite devenir un incontournable de l'art. Ora Ito dit aussi son désir de tisser des liens avec les habitants de la Cité radieuse, les Marseillais et plus largement les Méditerranéens. Il envisage une programmation multiple alliant l’art contemporain à l’architecture, au design au cinéma, à la musique, à la poésie, etc. On attend la suite...

Alain Amiel

Merci à Benjamin, Louise, Alexis et Violetta.