Visite chez Pamela

On croirait que cette cave vient d'être vidée. Restent seulement quelques objets posés là, par terre, comme échappés des mains du videur.  iIs ont été laissées peut-être avec l'idée qu'on va revenir les prendre, puis on les a oubliées. C'est assez débarrassé comme ça, le camion est parti, emportant tout le reste, sauf ces menus objets :  petits meubles, vieux cintre déformé, quelques photos et bouts de papier collés encore sur les murs.
Ce sont les dernières traces de ce qui encombrait la pièce. Elles racontent l'absence de ce qui a été enlevé, de presque tout.
Mais mon regard s'attarde, quelque chose me touche. Ces objets ne me semblent plus là par hasard. Quelqu'un les a placés avec une intention. Ah bon ! Mais ce ne sont que des détritus, des résidus. Au sol, un bout du carton d'emballage d'une boite de lessive de la marque Génie est coincé sous un ersatz de meuble en fer. Veut-on me faire croire qu'il y a du génie là-dessous ?
Mon regard se pose ensuite sur le mur en face de moi, une photo, incompréhensible de loin qui m’oblige à me rapprocher. C'est un portrait, mais de dos. On voit le haut des épaules et les cheveux. Entre les omoplates est écrit : "laisser dire". Le sujet ne se montre pas et il s'en fout qu'on dise quelque chose. On peut parler, il peut entendre, mais a choisi de se taire. C'est donc un sage, un... génie... sage. L’artiste est gonflé, mais il m'intéresse, m'oblige à continuer mon exploration. À ma droite, un morceau de feuille de vieux cahier d'écolier à grands carreaux aux lignes bleutées. Une main maladroite a écrit : "Van Gogh était fou" et à la ligne : "de rage".
Cela fait douze ans que je travaille sur la biographie de Vincent van Gogh, j'ai consulté des centaines de livres et lu des millions de lignes, écrit moi même cinq livres, mais je n'avais pas trouvé encore une phrase aussi juste, aussi vraie, fulgurante et suffisante.
A partir de là, j'ai voulu tout voir. Chaque objet m'a raconté quelque chose, ou en tous cas, m'a fait réfléchir. Chacun était porteur d'un récit, d'un souvenir partagé, d'une idée, d'une sensation, d'un sentiment. Il me parlait de moi, du monde, et aussi de lui, l'auteur...
Marc Quer, je venais de le rencontrer, par hasard, deux heures plus tôt, au FRAC, à l'étage de la bibliothèque, dans une exposition consacrée aux livres d'artistes. Au milieu de centaines de volumes, je vois sur une table quelques documents qu'on peut tout juste (ou pas) appeler "livres". Mon œil avait été attiré par de simples A3 photocopiés, pliés en deux, une dizaine de feuilles. Son titre "Monsieur Drame" m'interpelle. Je le feuillette... Des images de portes d'hôtels décatis à droite, et à gauche, un semblant de lettre encadrée comme dans les mails. Lettres de rupture ou d'amours contrariés... Je le montre à ma femme, je m'enthousiasme à mesure que je tourne les pages. Il me faut ce livre. Je cherche le nom de l'éditeur, je le note ainsi que son site Internet. J'inscris ensuite mon nom sur la feuille volante destinée à ceux qui voudraient être tenus au courant des nouvelles publications de cette maison d'édition. Puis je continue ma visite par la magnifique salle de Baquié, toute en haut du bâtiment. On quitte ensuite le FRAC sous une pluie proverbiale. Le temps est autre que pourri. Le quotidien La Provence, vu à l'hôtel, a même titré : "Recherche printemps désespérément". 
Et c'est chez Pamela, mon rendez-vous de 15 h, dans sa galerie, que je retrouve Marc Quer...