Visite aux Impots



Comme dans un rêve, je me retrouve dans une grande pièce blanche, ensoleillée. Deux bureaux, non, trois. Ordinateurs, dosiers, papiers, fichiers, piles de courriers. Pas de couleurs, tout est blanc.Une jeune femme me reçoit et me tend un formulaire, Elle m’indique une petite table où il y a un peu de place pour écrire à côté d’une pile de feuilles encore reliées entre elles, tout juste sorties de l’imprimante. J'ai une grande feuille verte et jaune à remplir, des cases à cocher. J'écris mon nom... Je n'aime pas mon écriture. Elle est inesthétique, inélégante. Ma mère avait une belle écriture avec des majuscules chantournées, des accents élégants, un penché racé. Pas comme mes foutus caractères qui se succèdent mal, s’entrechoquent. J'inscris ma date de naissance... Jusque là, ça va, mais rapidement il y a des sigles : BIC, BNC, TVA, des colonnes, des petit carrés à cocher… Comme toujours, je veux aller trop vite, toujours trop vite. Pourquoi cette impatience, cette urgence qui m'habite... Comme si la chose importante ou intéressante à faire était celle d'après, toujours celle d'après... Ma grand-mère maternelle disait que les Amiel étaient toujours pressés. Y-a-t-il un gène de l'urgence ?
Je remplis les cases : nom, date de naissance. Déjà une rature et des questions à poser. La femme qui m'a donné le formulaire s'est absentée. J’attends qu’elle revienne. Je regarde la jeune femme habillée de noir derrière son écran, très loin de moi. Je ne sais pas attendre longtemps. Je suis ennuyé. Elle est trop loin, et moi qui entends mal. Je lui demande si je peux lui poser une question. Elle se lève, je me rapproche, elle est jolie, souriante, elle essaie de m’aider, me dit des mots, va chercher dans ses bouquins, ses dossiers. Elle m'explique le système alors que je veux juste qu’elle me dise ce qu’il y a à cocher : BIC ou BNC ? TVA ou pas ?, lui donner la feuille et m’en aller… Mais elle parle, parle, va voir dans son ordinateur, cherche si je dois ou pas facturer de la TVA, me dit encore des mots, plein de mots que je saisis ou pas… Elle n’est pas sûre d’elle, ne voudrait pas faire d’erreurs et me dit combien c’est compliqué. Je ne comprends rien. Je ne vois que la lumière blanche de ce bureau et sa silhouette noire qui me parle. J’essaie de m’intéresser à ce qu’elle me dit, mais j’ai du mal, je veux juste cocher, rendre le document et m’en aller… Elle m’apprend que tout sera dit dans le courrier que je vais recevoir. Quand ? Je veux juste qu'on me donne un numéro, pour pouvoir l'inscrire sur mes factures. Je ne peux rien faire sans. Sa collègue revient. J'espère. Mais non, elle n’y connaît rien non plus. Il faut aller voir Martine, du bureau d’à côté. C’est elle qui s’occupe de ça. La femme en noir prend ma feuille et y va. Je l’aime. Je me sens un peu mieux. J’attends, je regarde par la fenêtre les cours ensoleillées des immeubles environnants. Ma copine Francine habitait à côté. Elle nous a quitté, emportée il y a deux ans par un cancer foudroyant. Je ne la voyais plus depuis longtemps. J’ai su qu’elle avait un amoureux, un peintre, qu’elle enseignait à Paris. Je pense à elle, revois sa maison, son sourire. J’aimais sa façon de marcher comme sur des œufs et sa façon de parler, tout doucement. Maintenant j’aurais du mal à l’entendre. La dame en noir revient : fine, élancée, je ne vois pas son visage mais son allure. Elle me tend une feuille, le duplicata. D’ici une semaine, je recevrai mon numéro… Elle me raccompagne, je lui dis : Merci, vous êtes très aimable. Puis couloir, ascenseur, rue, soleil d’hiver éblouissant.