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Interview sur Rafio Judaica Lyon par Catherine Elmalek
Interview par le CCME
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Chronique Amazonnienne 6

 

Rentrés de la selva vers 16 h, nous passions notre dernière soirée à Iquitos. Nous avions réservé un vol vers Cuzco pour le lendemain, car après avoir visité tous ces musées et ces sites incas, comment ne pas  aller voir de près ce qui constitue l'apogée de leur civilisation ? (ce sera raconté plus tard).
Nous avons refait un dernier tour d'Iquitos pour dire au revoir ou adieu à cette ville qui m'avait tant fait rêver. Nous nous sommes promenés sur le malecon et arrivés à la Plaza di Armas, nous sommes repassés chez Jorge Abramovich pour le saluer avant notre départ. Je lui ai fait part de mon idée de ramener comme dernier symbole de ce voyage une petite boule de caoutchouc natif, mais il n'a pas su me dire où en trouver (on n'en a d'ailleurs trouvé nulle part). C'est vraiment une histoire passée et révolue.


photo © Centre d'Etudes Théologiques d'Iquitos

Comme nous avions bien sympathisé lors du séjour dans la selva avec Juan, l'Argentin de Paris, nous avions convenus de nous retrouver dans la soirée à notre historique hôtel dont on lui avait vanté le charme.
Au fil de nos discussions pendant notre séjour junglesque, je lui avais montré la photo (j'ai dû la montrer à une quarantaine de personnes à Iquitos) et raconté mes recherches. L'histoire de mon grand-père l'avait intéressé ainsi que ma découverte du Baratillo. Aussi, après avoir visité notre hôtel, je lui ai proposé d'aller voir le bâtiment qui n'est qu'à quelques pâtés de maisons de la Casa Morey. Arrivés devant la façade, nous avons vu que l'imprimeur était en plein travail et Juan m'a proposé d'aller discuter avec lui.

Grâce à sa prestance, son autorité naturelle, parlant parfaitement l'espagnol qui est sa langue maternelle, sa présence a été déterminante pour nous permettre d'entrer en relation avec les gens qui vivaient et travaillaient là. Il leur a bien expliqué que je n'étais en rien intéressé ou revendiquant un quelconque droit, que j'étais dans une recherche romantique sur les traces du passé de mon grand-père. Les portes se sont ouvertes, c'est le cas de le dire, et nous avons pu pénétrer dans la partie qu'occupait l'imprimeur.

Ex-éditeur, connaissant bien toutes les techniques d'impression et les odeurs d'encre, j'étais dans un univers connu.  Les petites machines Offset étaient en pleine activité (il m'a semblé qu'il était en train d'imprimer des petites affiches et des lettres à en-tête, je regrette de n'avoir pas regardé de plus près).
L'imprimeur a appris à Juan qu'il était le fils du propriétaire âgé maintenant de 92 ans et lui a même proposé de le rencontrer. C'est ainsi qu'après être rentrés dans la partie imprimerie, nous sommes entrés par la grande porte, celle où mon grand-père se tenait dans la photo.

Cette porte ouvrait maintenant sur un couloir assez large (il semble qu'il y ait eu des modifications depuis : murs montés, trottoir refait, etc.) qui donnait sur un espace desservant d'autres pièces de la maison où vivait la famille (on a vu plusieurs personnes : une femme, deux adolescents, une fille et un garçon et de jeunes enfants, mais je n'ai pas osé demander à visiter.
Derrière nous, une pièce dont la porte fermée  avait exactement la même forme que la porte d'entrée. Cette pièce correspond à celle de gauche sur la photo à la fenêtre de laquelle apparaît la "femme floue" (ce soir, elle était éclairée).
Dans cet espace, un petit salon avec canapés où nous nous sommes assis en attendant l'arrivée de l'abuelito.
C'est d'une chambre à notre droite qu'est sorti un vieux monsieur avec une belle tête, des cheveux blancs et un grand sourire, tenant à la main une petite lampe de poche qu'il avait apporté pour mieux voir la photo du Baratillo.
Son fils l'avait prévenu et il semblait heureux de nous voir et de converser avec nous. Les présentations sont faites et une longue discussion s'enchaîne avec Juan qui a beaucoup de talent pour mettre les gens à l'aise.

Le vieux monsieur nous apprend qu'il est le propriétaire de tout le bâtiment qu'il a racheté peu à peu, puis il raconte sa longue vie à Juan. Je n'ai pas tout compris si ce n'est qu'il avait l'air content de sa vie, de ses enfants : une de ses filles est avocate, un fils est ingénieur agronome et l'autre, le plus jeune, celui qui nous a reçu, est imprimeur. Il semble qu'il ait parlé de neuf enfants, mais je n'ai pu suivre tout ce qu'il racontait. Je ne m'en faisais pas, comptant sur Juan pour m'en faire le résumé. J'ai demandé à Juan de lui poser la question quant à la pièce fermée, il nous a appris qu'elle lui appartenait bien sûr, mais qu'il y avait des fuites d'eau importantes qu'ils allaient réparer.Juan lui a demandé à quelle date à laquelle il avait acheté la maison, le vieux monsieur s'en souvenait parfaitement : il l'avait acheté en 1976 (donc une quarantaine d'années avant) à un nommé Strasberg (un nom probablement juif), mais il ne savait pas qui l'avait occupée avant. Il a reconnu sa maison dans la photocopie A4 (que je trimballe depuis une semaine pliée en quatre dans ma poche arrière).
Il a fait appeler sa petite fille, probablement la fille de l'imprimeur, pour qu'elle vienne faire des photos de notre rencontre.

Toute mignonne adolescente, elle est arrivée avec son portable bleu et nous a plusieurs fois photographiés. Je lui ai dit que j'aimerais qu'elle m'envoie les photos, mais elle n'avait pas de mail, on passerait donc par Facebook . On ne se rend pas bien compte de cette récente et extraordinaire évolution dans le champ de contacts humains. On est près de deux milliards d'individus sur fb et cela ne cesse de se répandre, dépassant même les websites ou les mails. Jusqu'au fond de la jungle, sur le marché de Belem, j'ai vu des petits gamins dépenaillés ou des vielles dames en tenue traditionnelle à chapeau penché sur la tête avec leur portable en main. Avec fb, pas besoin d'adresse mail, on fait tout : s'envoyer des photos (prises avec le portable), des docs, des films, communiquer en direct envers une ou plusieurs nombreuses personnes (tous ses amis), etc. Je suppose qu'aucune invention n'a été si rapidement mondialisée et appropriée par tous.
Après qu'elle ait fait les photos, je lui ai montré ma carte personnelle pour qu'elle orthographie bien mon nom. Deux secondes plus tard, elle m'a montré les quelques Alain Amiel de fb (il y en a plusieurs) et je lui ai désigné ma photo (en fait un portait de moi peint par le peintre Maurice Maubert d'après une photo de J-C Dusanter). Et voilà, nous étions connectés, et tant mieux, car en quittant les lieux, je me suis rendu compte que je n'avais pas demandé le nom de tous ces gens sympathiques et accueillants. Je ne me sentais pas de revenir et de leur dire : "au fait, j'ai oublié de vous demander...", mais j'étais rassuré sachant que nous étions amis Facebook avec la jeune fille (je sais maintenant que la jeune fille s'appelle Christina et la famille : Davila).
La discussion a un peu continué après la séance photo, j'ai moi-même demandé l'autorisation de prendre quelques photos, puis nous avons pris congé en les remerciant chaudement de leur hospitalité. Ce vieux monsieur nous avait tous ému.

En sortant, j'ai proposé à Juan de fêter l'événement et l'ai invité à dîner dans une maison historique du caoutchouc devenu un bar-restaurant (on y était déjà venu deux fois) qui avait à l'arrière une salle climatisée (un peu trop) avec aux murs de grandes affiches du film Fitzcaraldo. Le film avait été tourné dans le coin et l'équipe du film, Klaus Kinski et Claudia Cardinale ont habité Iquitos pendant plusieurs mois (on parle d'un touurnage très difficile avec l'impétueux Klaus). Cette Casa appartenait à l'associé de Fitzcarrald et avait pris naturellement le nom de Casa Fitzcarraldo.

Elle est bien placée sur le malecon. J'avais lu sur le routard que leur limonade était un must, et je voulais absolument la goûter. Moi qui suis fan absolu de limonades depuis celle qui a régalé mon enfance (à Rabat) qu'on appelait l'aqualimon, chaque fois que je trouve une référence à une bonne limonade, j'y cours.
À la Casa Fitzcarrald, en plus, la carte était large et la nourriture assez bonne, leur Pisco Sour aussi.

On passe une joyeuse soirée avec Juan qui nous fait beaucoup rire et nous apprend plein de choses sur les mœurs sud-américaines, les amitiés ou les inimitiés entre les différents peuples.
Le lendemain, nous quittions Iquitos, cette cité où nous avons vécu pendant une semaine à toute allure, enchaînant les rendez-vous, les visites de musées et les aventures dans la selva. Nous avons beaucoup appris sur ces régions situées aux antipodes de la notre, sur les cultures originelles, sur les beautés du Pérou etc.
Et surtout, j'avais retrouvé ce Baratillo qui m'a toujours fasciné. J'ai maintenant énormément de choses à digérer, de photos, de bouts de films à classer, à organiser, de documents à intégrer, d'où il faudra bien que j'en retire un film et un livre. J'ai bien du boulot, mais sous le soleil de Nissa la Bella et bien peinard dans le style de vie qu'avec Danielle nous avons choisi.
Il reste des questions : je n'ai pas toujours la certitude que Ruben du Pérou soit le demi-frère de mon père, et cela m'attriste. Il y a quand même cette particularité de la fossette sur le menton qu'ils ont tous les deux. J'aimerais tellement en être sûr comme eux le sont.

Je suis heureux d'avoir rencontré Ruben, un homme attiré par l'art et les belles choses, la culture, en fait tout ce qui reste des civilisations quand elles ont disparu. Sa femme Carmen qui a été le contact déterminant mes recherches depuis 1986 (date de notre première lettre), est une femme charmante, vive et cultivée.
C'est très triste que Riccardo, le frère de Ruben, ait été emporté par la sale maladie. Il aurait pu être le maire de Lima (un cousin Amiel, maire d'une ville de dix millions d'habitants !). Edison, cousin de Ruben, et sa femme Juana (vivant à Trujillo) ont été aussi très chaleureux et ont tenté de m'aider, mais eux non plus n'ont pas d'informations nouvelles à m'apporter.
Edison a créé une entreprise où il vend de l'Aquamiel, une eau minérale ! Je ne l'ai pas goûtée mais il m'a offert des stylos et deux blocs avec le sigle de son entreprise. On va peut-être recontrer son fils à Trujillo.

Si on pouvait prouver que leur grand-père de Rioja est passé par Iquitos, ou que mon grand-père a été ensuite s'installer à Rioja, il n'y aurait plus de doutes !
Mais les recherches ne sont pas closes. Les gens d'Iquitos et de Lima vont m'aider à les poursuivre. Je vais demander à Alejandra du Centre d'Etudes Théologiques d'Amazonie de chercher sur un cadastre ou sur les registres de commerce de 1910-12 les références possibles à mon grand-père. Il y a aussi deux ou trois personnes qui auraient pu citer le nom de David S Amiel : Victor Israël qui a été plusieurs fois maire d'Iquitos et qui a publié une liste de noms avec un "etc." qui m'énerve beaucoup, Isaac Pisa de l'AIU qui cite aussi beaucoup de paronymes juifs marocains vivant à Iquitos, mais pas Amiel, et aussi le  photographe Gil Ruiz dont j'espérais qu'il ait laissé une trace plus importante dans la photographie de la ville à sa belle époque.
J'ai été très déçu qu'aux archives de la Biblioteca Amazonica, on n'ait pas d'autres photos de lui, qu'on ne se soit pas intéressé à son œuvre. Cela viendra peut-être, il y a tellement de choses à créer à Iquitos et dans tout le Pérou, un pays très riche mais qui ne s'est pas sorti encore des nombreuses années de terrorisme, de corruption qui l'ont rendu impuissant à se dépasser. Ce pays m'a ému et je lui souhaite le meilleur avenir.

Après toutes ces aventures, je me rends compte aujourd'hui que mon grand-père (que je n'ai pas connu), en plus de m'avoir légué son prénom, m'a entraîné sur ce qui est sans doute mon plus beau voyage, pas le plus facile (la recherche des origines n'est jamais anodine), mais le plus exaltant.


Suite...

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